Hadiétou : « Quand tu es seul, l’imagination, ça vient. »

Hadiétou : « Quand tu es seul, l’imagination, ça vient. »

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Je peux pas sortir, j’ai peur de sortir, à cause de ma situation personnelle, je suis sans-papiers, si je sors je ne veux pas croiser les policiers. Donc je reste chez moi. Quand je sors je ne fais pas l’attestation parce que je pense que ça va bien passer. Mais c’est pas tous les jours que je sors.

C’est la première fois que ça m’arrive de rester comme ça à la maison. C’est pour nous protéger de la maladie. Le gouvernement il a bien fait d’un côté. Mais les conditions chez moi c’est un peu dur. Je vis avec mon oncle et mon frère dans une même chambre. Mais on s’entend bien. Je ne suis jamais resté seul, j’ai toujours vécu avec des gens.
C’est une chambre de 6 m2 avec cuisine, toilettes, tout ça. Exactement comme Seibane mais le bâtiment B !

Ça me rappelle quand j’étais en Libye, j’ai été en prison un mois et demi. On était au foyer, brusquement les militaires ont chopé et embarqué plus de soixante dix personnes et nous ont mis en prison. Arrivés en prison ils ont menti en disant qu’ils nous ont trouvé avec des femmes, et qu’on faisait affaire de drogue par la Méditerranée. Personne ne pouvait sortir de la prison sans avoir donné de l’argent. Après un mois et demi j’ai payé la somme d’argent et ils m’ont libéré.
Quand j’étais en prison, pendant plus d’un mois je suis pas sorti, je ne voyais pas le ciel. C’était pire. J’ai appris beaucoup de choses, ce qu’est la liberté. En confinement c’est différent, tu peux parler avec les amis, échanger des idées, tu peux aller acheter quelque chose pour manger, et aller te balader un peu à côté de chez toi.

Quand j’étais en prison, pendant plus d’un mois je suis pas sorti, je ne voyais pas le ciel. C’était pire.

Avant je travaillais dans le bâtiment, on casse, on construit des maisons, c’est travail physique. Ça manque le travail. Depuis que je suis petit j’ai fait que le travail. J’aime bien le travail, et si on travaille pas on gagne pas d’argent. Le travail c’est la première chose. Si je suis fatigué je peux prendre du repos mais ce que je veux c’est travailler.
Là financièrement c’est un peu dur, j’ai mis un peu de côté, c’est ça que je suis en train de manger maintenant. Je pense que mes réserves vont finir avant le confinement. On a encore deux semaines. On ne sait pas si ça va se prolonger. J’espère que dans deux semaine ça va aller inch’Allah.

Je me couche plus tard, à 1h ou 2h du matin, et je me lève à 10h. Parce que je cause avec mon frère. Mon oncle est parti au pays. Donc on a les libertés dans les chambres. Quand mon oncle est là on peut pas faire ce que l’on veut. Il y a beaucoup de jeunes qui viennent pour discuter, on fait du thé, du café, on discute. On s’entend bien. Je me lève, je prends ma douche, après je vais voir Seibane, on discute pendant qu’il fait la cuisine, on mange. Après on va au troisième étage discuter avec le cousin de Seibane, on va discuter jusqu’à 22h. Après on descend au deuxième étage voir un ami, on va discuter jusqu’à 23h. Après on va quitter là-bas et on va discuter chez moi. Que des discussions… Les sujets c’est beaucoup, on discute du confinement, on dit ce que tu as envie de faire, on discute des choses du pays… On fait tous les discours qu’on a dans la tête. Il y en a qui parlent de politique, est-ce que le confinement c’est bien, ou pas, moi je peux pas dire, la politique ça m’intéresse pas. Les informations je n’écoute pas du tout. Les autres du foyer peuvent me dire, moi personnellement je me concentre pas pour avoir les informations.

Il y en a qui parlent de politique, est-ce que le confinement c’est bien, ou pas, moi je peux pas dire, la politique ça m’intéresse pas.

Quand on applaudit c’est important, j’aime bien que les gens le fassent, mais moi je le fais pas. Je préfère écouter les autres. Je sais pas pourquoi j’ai pas envie, je préfère écouter. Ça fait du plaisir franchement !

Depuis que je suis en France je ne suis jamais resté une journée à la maison. Et là le confinement on le fait chaque jour. C’est très dur. Les amis me manquent, surtout. Le bon café me manque, on a que du Nespresso. La nature me manque aussi, quand tu sors tu vois des arbres, là tu vois rien, c’est dur. Depuis ma fenêtre on voit que des bâtiments. Le sport me manque aussi, le karaté, la course. J’y allais deux fois par semaine. Mais je fais les pompes chaque matin, 50 ou 100. C’est la première chose que je fais. Mais d’abord je prie à 6h.

Je voulais envoyer de l’argent à ma famille au Mali mais je peux pas. Chaque année je le fais avant le Ramadan, je prépare quelque chose pour ma famille. Là comme je travaille pas c’est compliqué. Ce que j’ai ce sera pas suffisant pour eux et pour moi. Mais je vais le faire quand même.
La première chose que je vais faire après le confinement, c’est qu’ils m’appellent pour travailler, ou je les appelle. Et après je vais envoyer de l’argent à ma famille. Le reste c’est pas nécessaire. Dans la vie on ne peut pas faire tout ce qu’on veut.

Je voulais envoyer de l’argent à ma famille au Mali mais je peux pas. Ce que j’ai ce sera pas suffisant pour eux et pour moi.

Mon corps il est fatigué à cause de rester à la maison. Parfois je me couche et je peux pas dormir avant longtemps. Je pense à ma famille, je repense à toutes les situations que j’ai vécues jusqu’ici, étape par étape. C’est dur. Depuis le pays jusqu’à ici. J’ai quitté le Mali en 2012, j’ai fait sept mois en Algérie, deux ans et demi en Libye, trois ans et demi en Italie. Depuis bientôt trois ans je suis en France. J’ai vécu beaucoup de choses. Dans le confinement j’y pense plus parce que j’ai pas grand-chose à faire. Quand on est au travail ou avec les amis il y a beaucoup de choses qui passent. Quand tu es seul l’imagination ça vient. Depuis le Mali, depuis que j’ai mis le pied dans la voiture jusqu’ici, il y a eu beaucoup de moments difficiles, beaucoup de conséquences, beaucoup de fatigue.
J’aimerais bien que tout ça finisse le plus vite possible. Tout le monde me manque, je passe le salut pour tous les amis !


Portrait réalisé par Aloïs Marignane
Témoignage recueilli par Anne Waeles

Christian : “Si ça se passe bien pour moi, c’est grâce à la musique.”

Christian : “Si ça se passe bien pour moi, c’est grâce à la musique.”

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Le confinement se passe très bien dans un sens, je suis habitué à vivre tout seul, mais c’est frustrant de pas aller voir des gens, de pas aller dans les cafés et les restaurants que j’aime bien.

Les seuls échanges que j’ai c’est avec les commerçants ou ceux que je croise dans le quartier. J’ai croisé un habitué de l’association Autremonde, c’est des petits échanges rapides, « ça va, ça va » mais il ne faut pas aller trop loin. Avant le confinement, je voulais arrêter presque tout ce que je faisais côté musique avec des assos, mais là je me rends compte que ça me manque, le lien, le contact, le Dorothy me manque beaucoup, le Carillon me manque, c’est à double tranchant, et c’est pas évident de prendre la décision d’arrêter des choses maintenant.

Au début comme d’habitude, et malgré mon expérience de la vie, j’ai pas réalisé pour le confinement. A ce moment-là j’avais d’autres problèmes perso importants donc j’ai pas réalisé, j’ai pas compris, ou vaguement compris. J’ai entendu des rumeurs, j’ai entendu dire que des gens évitaient les personnes asiatiques, puis des copains m’ont expliqué encore vaguement mais j’ai pas réalisé. La prise de conscience ça a été le départ de Paris de certaines personnes des associations, les restos, bars et théâtres qui ont fermé dans la nuit de samedi, déjà vendredi midi un restaurateur solidaire m’avait dit qu’il fermait mais je pensais que ce serait une exception. Puis j’ai compris que c’était important, que ça pouvait durer longtemps, j’étais très frustré. Mais oui j’ai été un peu insouciant, inconscient.

Au début comme d’habitude, et malgré mon expérience de la vie, j’ai pas réalisé pour le confinement.

Chez moi, c’est un petit 3 pièces ou un grand 2 pièces, 43m2, c’est l’ancien appartement de mes parents, payé à l’époque par ma grand-mère qui pensait déjà à moi en l’achetant, trois ans avant que je naisse. Les gens peuvent se dire que c’est grand, mais c’est très rempli. Il y a la pièce de ma mère avec un lit, la pièce du milieu avec un placard, des vêtements, des cartes de restaurants où je vais, et ma chambre où je dors sur un lit où pour le coup il n’y a presque rien. Pour manger j’avais une table qui se montait et se baissait, mais elle s’est bloquée en bas donc je n’ai plus trop de place pour manger, soit je mange par terre, soit sur un petit rebord à coté de ma plaque de cuisson, ça fait partie du coté folklo ! J’ai une télé, un magnétoscope, deux lecteurs DVD dont un Blue-ray, j’ai un micro-ondes dont je sais bien me servir, il y a aussi une grande table mais tout est rempli, il y a des disques, des papiers, des DVD, des VHS, les revues qui vont avec, de gros classeurs… Heureusement il y a des planches pour faire un rangement en hauteur. Il y a deux balcons tout-petits dont je me sers pas vraiment. J’ai une bibliothèque de ma grand-mère avec des objets d’autrefois auxquels je tiens beaucoup. J’ai vendu plein de choses mais j’ai gardé que des objets sentimentaux.

Dans mes journées je suis complètement décalé. Je dors pas beaucoup la nuit et je me réveille souvent vers 4 ou 5h. Je regarde la chaine 17 où ils repassent en boucle les informations, ou BFM TV, pour savoir si ça s’aggrave. J’alterne les deux chaines. C’est comme ça que j’ai appris que l’attestation allait être remplacée par le portable, moi j’en ai pas mais je le ferai sur papier. J’achète jamais de journal et c’est la 1ère fois que je regarde les infos comme ça, avec importance, pour donner des renseignements aux gens, même si j’ai pas de portable. Après je m’arrange pour faire les courses et être le premier ou un des premiers dans le magasin, je refuse de faire la queue. Je vais au supermarché tôt et pendant les heures creuses mais ça m’arrive aussi d’aller chez des fromagers, même si c’est cher, c’est des petits plaisirs. Mon repas du midi c’est entre 9h et 10H et mon diner vers 16-17H. Ce qui est bien avec mon rythme c’est que je peux me recoucher un peu dans la matinée.

Je m’arrange pour faire les courses et être le premier ou un des premiers dans le magasin, je refuse de faire la queue.

Si ça se passe bien pour moi c’est grâce à la musique que j’écoute beaucoup. J’essaye de changer, de pas m’abrutir, de varier les styles de texte, en français et en anglais. Par exemple aujourd’hui j’ai écouté Hubert-Félix Thiéfaine, j’ai écouté -M- même si je suis pas fan à 100%, j’ai du mal à rentrer dedans. J’essaye de me forcer à écouter des choses que j’avais achetées et que je voulais découvrir ou redécouvrir. Je réécoute David Bowie que j’adore, Yves Simon aussi qui est dans le style de Maxime Le Forestier mais en mieux avec plus de bonnes chansons et de disques aboutis, c’est vraiment très agréable. J’écoute un peu Dadju, c’est le petit frère de Maître Gim’s, il a fait deux albums, un que j’aime et l’autre beaucoup moins. Ce que je découvre aussi c’est des disques des gens des Victoires de la Musique et notamment des femmes : Maëlle, Pomme, Aloïse Sauvage, Léa Paci… ça détend c’est assez doux, pas trop violent. Sinon je regarde le DVD des Enfoirés et plus rarement je regarde des films, un tous les trois jours je dirais.

En ce moment je suis plutôt fatigué et comme mon risque de diabète a baissé, je vais moins marcher. Avant je marchais beaucoup la nuit pour faire de l’exercice et croiser personne. Je me couche tôt, les heures avant minuit sont très récupératrices donc j’ai pas besoin de dormir beaucoup ensuite. Je m’ennuie, mais c’est pas horrible, comme j’ai l’habitude d’être seul ; j’ai tellement de choses à voir écouter, ça pourrait durer longtemps, mais au bout d’un moment ça devient frustrant, en plus il fait de plus en plus beau. Je ressens de la fatigue psychologique mais je vieillis un peu et c’est le début de printemps, c’est un moment où plein de gens sont fatigués physiquement. J’ai aussi fait quelques petites crises de nerfs, je pense que c’est un peu alimenté par la situation.

C’est un peu le hasard d’avoir du temps pour ça, c’est un peu comme une retraite spirituelle, mais sans la religion, ou très peu.

Ce qui est le plus difficile pour moi c’est de ne pas pouvoir revoir une jeune femme que j’aime beaucoup, en plus j’ai des choses à la fois méchantes (seulement 10%) et gentilles à lui dire, ça me ferait beaucoup de bien. Je l’appelle une à deux fois par semaine, elle me manque énormément. Ce qui est dur aussi c’est de ne pas voir certaines personnes, le manque de contact humain. Les chansons du dimanche que je fais au Dorothy me manquent aussi, ça fait déjà cinq semaines, et aujourd’hui ça aurait dû être le repas partagé du dimanche. Il y a aussi les concerts, qui me manquent, j’ai hâte d’y retourner.

Après ce qui est sympa dans le confinement, c’est que beaucoup de gens m’ont appelé pour prendre des nouvelles, le Dorothy en première position pour le nombre de personnes, je pense pas qu’on m’aurait appelé autant avant. Sinon pas mal de gens de l’immeuble sont partis, il n’y pas grand monde dans les rues, c’est pas plus mal on se croirait un peu au mois d’août, je me sens plus libre dans l’immeuble et dans le quartier. Ce confinement ça tombe vraiment dans une période spéciale pour moi, j’ai envie de tout arrêter avec les scènes que je faisais dans les assos. L’avantage c’est que ça me permet d’essayer de prendre du recul, de méditer, réfléchir tranquillement. C’est un peu le hasard d’avoir du temps pour ça, c’est un peu comme une retraite spirituelle, mais sans la religion, ou très peu. Là je suis un peu obligé, je l’aurais fait de manière différente, mais ça peut changer ma vie, il faut que je choisisse, le hasard peut bien faire les choses.

La première chose que je voudrais faire après le confinement c’est courir après la jeune femme dont je parlais.

La première chose que je voudrais faire après le confinement c’est courir après la jeune femme dont je parlais, revoir certaines personnes que j’aime bien un peu partout, essayer de bien sélectionner ceux que je veux voir, retourner dans certains restos et bars où je connais du monde, voir si je continue la scène un peu ou très peu, mais surtout revoir les gens que j’aime. Je pense aux gens du Dorothy qui m’ont permis d’évoluer dans la religion et la spiritualité pendant mon année 2019, je pense surtout à Thérèse pour sa grande gentillesse désintéressée. Ah si, il y a aussi le concert du groupe YES le 21 mai à l’Olympia, j’espère que j’y serai !

Playlist bonus :
Let’s dance https://www.youtube.com/watch?v=VbD_kBJc_gI
La bonne nouvelle https://www.youtube.com/watch?v=4a7JN7TWG_U
A nos héros du quotidien https://www.youtube.com/watch?v=fVuCviFkqNw


Portrait réalisé par Bertille Mennesson
Témoignage recueilli par Constance Gros

Il n’y a pas de communion sans justice.

Il n’y a pas de communion sans justice.

Par Anne Waeles.

Si nous désirons retrouver la messe, nous ne sommes pas victimes d’une injustice.

Mais il faut savoir pourquoi nous désirons la retrouver. L’eucharistie est le lieu où le Christ se donne pour que nous formions réellement son corps, et que nous puissions nous mettre au service de l’avènement de la justice du royaume de Dieu. Comme corps du Christ, nous voulons dénoncer toutes les injustices commises par le pouvoir politique sous couvert de confinement ces dernières semaines : violences policières racistes, parcage de migrants dans des gymnases au mépris de toute utilité sanitaire, dédain des soignants que l’on sacrifie après avoir dégradé leurs conditions de travail ces dernières années et sans rien proposer aujourd’hui pour la revalorisation de celles-ci, absence de régularisation des sans-papiers que l’on peut laisser crever après avoir usé leur force de travail dans nos chantiers de construction publique ou nos cultures…

Et nous sommes tous victimes d’injustice quand nous voyons se dessiner les projets étatiques post-confinements les plus délirants, du projet de relance au profit des entreprises les plus polluantes à l’application de surveillance Stopcovid. Injustice du renforcement du pouvoir de l’État sur nos corps et nos esprits, mépris de cette machine qui ne nous juge bons qu’à produire, consommer, et rester en vie, mais sans aucune finalité.

Bien sûr qu’il nous paraît risible que la seule chose que l’on soit autorisé à faire après le 11 mai, c’est produire et consommer, et nous savons bien que nous vivons en réalité d’une autre nourriture. Nous ne désirons pas consommer mais être consommé1, incorporés au corps du Christ et vivre de sa vie. Nous croyons dans la puissance du sacrement, mais aussi que le Seigneur se donne à chaque instant. Et nous ne voulons pas détourner le sens de la messe en réclamant une pratique individualiste et consumériste – je veux la messe, tout de suite ! – qui nous servirait de confort spirituel, mais nous désirons communier pour être rendus capables de vivre de Dieu au milieu de tous nos frères et sœurs humains, souffrants avec chaque membre souffrant de l’humanité.

Nous ne désirons pas retrouver les célébrations comme avant, mais nourris de nos expériences spirituelles de silence, de lecture de la Parole (et de partage de celle-ci avec d’autres quand nous en avons eu la chance), nous désirons retrouver l’eucharistie comme sacrement du corps tout entier, comme communion de tous, où chaque baptisé édifie ses frères et sœurs en témoignant par sa parole de sa relation unique au Christ, et où tous ensemble nous nous rendons capables de répondre aux cris des hommes victimes de violences, d’injustices, de mépris, par le cri d’amour et de justice de Dieu.

Et si nous acceptons avec joie de jeûner encore de l’Eucharistie quelques temps, c’est parce que nous savons que l’Esprit souffle où il veut, et qu’il continue à nous travailler tout spécialement en ces temps de privation, où nous voulons être unis aux souffrances de tous ceux dont la misère s’aggrave, ceux qui connaissent nouvellement des situations de privations et de dégradations sociales, les femmes victimes de violences conjugales dont la recrudescence est effroyable, les personnes de la rue qui ne collectent plus assez de monnaie pour trouver un abri le soir, les racisés victimes de violence policière, et tant d’autres dont le nombre est si grand qu’il nous faudrait des vendredi saints chaque semaine pour comprendre que le Christ est venu offrir sa vie en priorité pour eux.
Nous voulons aussi être en communion avec nos frères et sœurs musulmans qui jeûnent dans la solitude et ne peuvent se retrouver pour partager la joie des iftars et la paix des prières communes, en communion avec les juifs et tous les autres croyants. Nous ne voulons retrouver le chemin de nos églises que s’ils retrouvent le chemin de leurs mosquées et synagogues.
Nous acceptons ces privations comme un honneur, car nous ne voulons rien réclamer de cet État indigne, surtout quand de l’autre côté l’Église s’empresse de se montrer bon élève et de se faire féliciter de ce qu’elle respecte les règles, alors que nous n’avons pas besoin d’autorisations de sortie pour écouter les personnes en galère au pied de notre immeuble ou pour aller chez la voisine qui se fait battre par son mari.
Nous acceptons de jeûner de la messe pour mieux offrir à Dieu le jeûne qui lui plait, « défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug ; renvoyer libre les opprimés, et briser tous les jougs (…), partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair » (Isaïe 58, 6-8)

Pourtant nous avons tellement besoin de l’eucharistie, pour demeurer en Dieu et recevoir la vie. Pas la vie nue que nous promet le gouvernement, mais la vie divine qui est seule source d’amour. « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous », « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » (Jean 6, 53-56 )
Sans le Christ nous ne pouvons pas même lutter pour la justice divine ; nous ne savons bien souvent qu’ « opposer l’injustice à elle-même »2. Et nous avons encore besoin de l’eucharistie parce que la justice ne suffit pas, mais est parachevée dans l’Amour, qui se donne tout entier à chaque messe.
« La longue revendication de la justice épuise l’amour qui pourtant lui a donnée naissance. »3 Il nous faut revenir à la source, sans quoi notre coeur se décharne.

Si nous espérons un jour la communion de toute l’humanité, nous voulons participer dès ici-bas à l’accroissement de sa réalité, non en nous considérant comme mis à parts pour le salut, mais comme responsables de chaque miette reçue de la présence réelle pour faire grandir le corps tout entier. Puissent ces jours d’attente faire croître en nous ce désir et le sens de cette responsabilité.

Anne Waeles

1Cavanaugh, théologien américain

2Camus, Retour à Tipasa

3Camus, toujours

image : L’amour rend grâce, Malel

Femmes détenues : les oubliées

Femmes détenues : les oubliées

7 mars 2020
Conférence organisée par l’OIP –
Observatoire international des prisons – section française (OIP-SF)

Les femmes représentent une minorité statistique : comment expliquer cette dissymétrie sexuelle ? Au XIXe siècle, le savoir criminologique l’explique par la biologie : les femmes donnent la vie et non la mort, sont moins fortes, perdent le sang et donc ne le font pas couler. Aujourd’hui, le genre, le contrôle social restent d’actualité.

La diminution du taux de femmes incarcérées résulte à la fois d’une forte incitation sociale à la docilité et d’un sous-enregistrement de la délinquance féminine.

  • Les femmes représentent aujourd’hui 3,7% de la population carcérale. Les chiffres ont varié dans l’histoire : le taux de femmes incarcérées chute au XVIIIe où elles représentaient 1/3 de la population carcérale
  • La socialisation à des formes de docilité est une discipline plus forte à l’égard des filles
  • Si les chiffres aujourd’hui montrent que la police et la justice incarcèrent moins les femmes, ils ne signifient pas que la délinquance féminine est moindre

Le sous-enregistrement de la délinquance féminine n’est ni favorable, ni défavorable. La question est le contrôle et la régulation qui ne se font pas par les raisons de l’arrestation/ l’incarcération mais par le rapport au genre, à la psychologisation / psychiatrisation, par le contrôle du corps…

  • Le rapport au genre : les femmes sont traitées différemment en fonction d’une adéquation aux normes de genre
    • Les policiers ont des schèmes genrés
      • Ils s’attendent à trouver plutôt des hommes délinquants.
      • Sauf dans les grands magasins et le vol à l’étalage : on attend plutôt des femmes
      • Les émeutières du 17e sont moins arrêtées par les policiers.
    • Les femmes en prison interrogées témoignent d’un certain nombre de faits pour lesquels elles n’ont pas été arrêtées ou qu’elles ont pu monnayer (vols dans l’espace public, ou ce qui relève de la sphère familiale par exemple)
    • En prison, les mauvaises mères sont sanctionnées fortement.
  • La psychologisation – la psychiatrisation : la délinquance des femmes est psychologisée voire psychiatrisée, ce qui est visible dès le recours judiciaire, puis dans les pratiques en prison
    • Au niveau judiciaire, les recours pour incarcérer les femmes sont moins importants, notamment lorsqu’elles sont mères : elles sont considérées comme moins dangereuses dehors ; elles bénéficient davantage d’aménagements de peines
    • Le lieu des visites officielles est choisi à bon escient, comme la nurserie de Fleury, l’endroit le « plus propre » de la prison
    • Les traitements psychotropes sont plus proposés aux femmes qu’aux hommes, ce qui ouvre la voie à des déviances potentielles
    • L’insurrection d’une femme contre l’ordre carcéral est imputée à des problèmes psychologiques ou familiaux. Par exemple, une femme qui fait une grève de la faim signifie qu’« elle commence une anorexie.
  • Le contrôle du corps et de la sexualité et de la psyché des femmes est extrêmement serré
    • Les ateliers de « socio-esthétique » – pensés comme outils de réinsertion, leur apprennent à se maquiller, à s’habiller (de manière jolie mais correcte)
    • Les pratiques sexuelles font l’objet d’un discours moral très fort
  • La racialisation : par exemple, mes roms sont traitées comme les hommes ou pires

Typologie des femmes incarcérées qui passent à l’acte de délinquance à partir d’une étude portant sur les femmes incarcérées pour les moyennes et longues peines (entre 15 et 20 ans)

  • Elle n’existe plus que par le soin qu’elle porte aux autres. Elle « craque », boit et finit par commettre un acte de délinquance, du fait de situations vécues qui dépersonnalisent, et ne sont pas sans évoquer la question du féminisme matérialiste (appropriation sociale à la fois du travail et du corps tout entier de la femme). Ex : une femme raconte ses journées de 4h à minuit (travail salarié, travail domestique, les enfants…)…
  • La légitime défense au sein de violences masculines et conjugales répétées : une fois en prison, les femmes peuvent prendre soin d’elles, s’opposer à la domination masculine et ses injonctions. Cf. Une chambre à soi, V. WOOLF
  • Le trafic de stupéfiants où les femmes occupent un poste moins important que celui des hommes. On y retrouve de nombreuses femmes étrangères qui y participent afin de pourvoir aux besoins de leur famille
  • Les prisonnières politiques (ETA notamment) : leur traitement est différent dans le parcours de peine et il n’y a plus de statut de prisonnier politique. Se posent les questions de la criminalisation du délit politique qui ne porte pas son nom, et celle de la violence légitime/illégitime. Avec l’arsenal anti-terroriste actuel, on ne juge pas sur les faits mais sur l’intention des faits.

Comment se raconter dans un dispositif où l’on est toujours évalué, contrôlé, jugé ? Comment ce dispositif de contrôle façonne le dispositif carcéral ?

  • Ces questions concernent autant les détenues que les juges, les conseillers d’approbation des peines, les psychologues…
  • Au long de la peine, les femmes sont soumises à une évaluation au cours de laquelle on leur demande de se responsabiliser par rapport au délit, de montrer sa culpabilité, de réfléchir à « comment j’aurais pu agir autrement »
  • Le corps n’existe plus pour soi
  • Le « nous » en tant que « femmes » n’existe pas, mais le « nous » détenues, oui.
  • Des formes de relation mère-fille, et des relations d’amitiés tissés dans la solidarité des peines se créent, notamment liées aux crimes sur mineurs – leurs auteures sont les plus marginalisées en prison

Le monde carcéral reflète les processus disciplinaires dans la société en général

  • Expertise, évaluation, dangerosité…font partie d’un vocable que l’on retrouve dans l’éducation par exemple.
  • La prison n’échappe pas à la société de surveillance numérique

Témoignage d’Audrey CHENU, ex-détenue

Ouvrage publié : Girlfight, 2013 

Audrey Chenu a été en maison d’arrêt, en détention pendant 2 ans.

La prison : Orange is the New Black ?

  • « Elles sont en open space toute la journée, ce n’est pas ça la prison, moi je sortais une heure par jour ! »
  • Audrey témoigne également du paternalisme : « si t’étais ma fille », « nan mais tu te rends compte »…et de la psychiatrisation : « beaucoup de détenues sont cachetonnées, elles sont comme des zombies ».

« Tout le monde juge en prison », des prisonnières aux matonnes

  • En témoigne la hiérarchie : en bas, les infanticides, qui sont mises à part, jugées, à qui on rend la vie dure. L’ambiance auto alimente le jugement et les jugements des matonnes sont arbitraires.
  • Les prisonnières basques sont à part : pour elles, dedans et dehors, le combat est le même, politique. Elles se battent, font du sport, des études.

L’absence de mixité en prison lui a permis de découvrir la force et le courage des femmes, et la condition féminine

  • L’incarcération constitue sa première expérience de non-mixité : Audrey évoluait dans un milieu masculin et macho qu’est celui du trafic de stupéfiants
  • Avant son incarcération, elle n’avait pas conscience de la condition des femmes : le regard qu’elle portait sur elles était masculin
  • Devenue professeure de boxe, elle a depuis longtemps un projet de boxe pour les femmes en prison : mais elle n’arrive pas à le faire accepter par l’administration pénitentiaire, alors que dans le quartier homme c’est accepté.

« Qu’est-ce qu’une peine juste ? » : telle est la question posée lors d’un examen en L2 de socio qu’elle a passée en prison. Une question qu’elle travaille également avec ses élèves en tant qu’institutrice.

Réponses aux questions

Sur le genre : les attentes et injonctions pèsent lourdement, avec un double-jeu.

Les femmes victimes de la violence masculine ne peuvent pas en parler. Elles doivent seulement manifester qu’elles sont coupables, et pas victimes. Elles n’ont pas le droit de le dire. Par exemple, une femme devait la stabilité du couple devant l’institution judiciaire, alors qu’elle était victime de violences de son mari qu’elle voulait quitter. Elle a fait semblant que non en prison, même si elle le quitte effectivement en sortant de prison.

A l’inverse, une femme incarcérée pour stupéfiants, considérée comme étant sous l’influence d’un système clanique etc., a fait semblant d’être séparée.

Concernant les partenariats publics-privés : Bouygues détient 50% du marché pénitentiaire avec des filiales dans la restauration, l’accès à la formation, le travail en prison. Ce vaste réseau rend compte d’une situation de monopole

  • Les produits sont très chers et tous les produits sont cantinables : rien n’est gratuit, à part le plateau repas.
  • Les constructeurs privés impactent le dispositif carcéral : les femmes peuvent être cantonnées dans un bâtiment où elles ont une circulation réduite dans l’idée qu’elles ne croisent jamais les hommes et d’éviter ainsi que les femmes tombent enceintes.
Oscar Romero : prophète d’une Eglise des pauvres.

Oscar Romero : prophète d’une Eglise des pauvres.

Le 21 février 2020, à 20h, le frère jésuite Martin Maier nous a présenté une figure passionnante de l’Eglise catholique du XXe siècle : Oscar Romero (1917-1980).

Evêque salvadorien assassiné en 1980, il paya de sa vie son engagement aux côtés des plus pauvres de son diocèse, notamment des paysans. Il a été canonisé en 2018 par le Pape François


Martin Maier, auteur d’articles et d’un ouvrage sur Romero nous a présenté les grandes lignes de la vie, de la pensée théologique et des engagements de ce personnage inspirant dont certains traits et combats font penser à Dorothy Day.

Un article pour découvrir Romero et les enjeux liés à sa canonisation par le Pape François : https://doctrine-sociale.blogs.la-croix.com/figure-hommage-au-bienheureux-oscar-romero/2017/02/13/

Enregistrement audio de la conférence de Martin Maier : https://anchor.fm/le-dorothy/episodes/OSCAR-ROMERO–PROPHTE-DUNE-EGLISE-DES-PAUVRES-e1aujcj

Dorothy Day, Dorothy Stang, Oscar Romero… : c’est ÇA l’Église qu’on aime !!! C’est à travers ce genre de personnes que le Christ, serviteur des pauvres et de la vérité, se rend présent tout au long de l’Histoire des hommes, si prolifique en horreurs et tragédies de toute sorte… Que notre foi sache s’en souvenir et se ressourcer à leur exemple.