Cet article se divise en deux parties : 1/ extrait d’un texte de Simone Weil sur le travail manuel 2/ résumé d’une conférence du philosophe Robert Chenavier sur la pensée du travail de Simone Weil donnée au Dorothy en juin 2019.
1/ Extrait de (Simone Weil, « La personne et le sacré », Luttons-nous pour la justice – Manuel d’action politique, Peuple libre, collection Altercathos, juin 2017, p. 110-112).
« Une usine moderne n’est peut-être pas très loin de la limite de l’horreur. Chaque être humain y est continuellement harcelé, piqué par l’intervention de volontés étrangères, et en même temps l’âme est dans le froid, la détresse et l’abandon. Il faut à l’homme du silence chaleureux, on lui donne un tumulte glacé. Le travail physique, bien qu’il soit une peine, n’est pas par lui-même une dégradation. Il n’est pas de l’art ; il n’est pas de la science ; mais il est autre chose qui a une valeur absolument égale à celle de l’art et de la science. Car il procure une possibilité égale pour l’accès à une forme impersonnelle de l’attention. (Je passe le passage où elle veut crever les yeux à Watteau) Exactement dans la même mesure que l’art et la science, bien que d’une manière différente, le travail physique est un certain contact avec la réalité, la vérité, la beauté de cet univers et avec la sagesse éternelle qui en constitue l’ordonnance. C’est pourquoi avilir le travail est un sacrilège exactement au sens où fouler aux pieds une hostie est un sacrilège. Si ceux qui travaillent le sentaient, s’ils sentaient que du fait qu’ils en sont les victimes ils en sont en un sens les complices, leur résistance aurait un tout autre élan que celui que peut leur fournir la pensée de leur personne et de leur droit. Ce ne serait pas une revendication ; ce serait un soulèvement de l’être tout entier, farouche et désespéré comme chez une jeune fille qu’on veut mettre de force dans une maison de prostitution ; et ce serait en même temps un cri d’espérance issu du fond du cœur. (…)
Le travail physique est un certain contact avec la réalité, la vérité, la beauté de cet univers et avec la sagesse éternelle qui en constitue l’ordonnance.
Quand on leur parle de leur propre sort, on choisit généralement de leur parler de salaires. Eux, sous la fatigue qui les accable et fait de tout effort d’attention une douleur, accueillent avec soulagement la clarté facile des chiffres. Ils oublient ainsi que l’objet à l’égard duquel il y a marchandage, dont ils se plaignent qu’on les force à le livrer au rabais, qu’on leur en refuse le juste prix, ce n’est pas autre chose que leur âme. Imaginons que le diable est en train d’acheter l’âme d’un malheureux, et que quelqu’un, prenant pitié du malheureux, intervienne dans le débat et dise au diable : « Il est honteux de votre part de n’offrir que ce prix ; l’objet vaut au moins le double. » Cette farce sinistre est celle qu’a jouée le mouvement ouvrier, avec ses syndicats, ses partis, ses intellectuels de gauche. Cet esprit de marchandage était déjà implicite dans la notion de droit que les gens de 1789 ont eu l’imprudence de mettre au centre de l’appel qu’ils ont voulu crier à la face du monde. »
2/ Conférence de Robert Chenavier : La pensée du travail chez SW (au Dorothy, juin 2019).
La philosophie du travail de Simone Weil fait converger deux lignes de pensée : celle de Platon et celle de Marx. On peut dire qu’elle forge une pensée platonicienne enrichie d’une théorie du travail et une pensée inspirée de Marx enrichie d’une prise en compte sur surnaturel. Tout en ayant sa pensée personnelle, Simone Weil est en effet fortement marquée par ces deux philosophes. L’idéal de Weil est une civilisation fondée sur la spiritualisation travail, où le travail serait un moyen d’exercer et de faire croître notre sagesse et notre intelligence du monde. Le travail n’est pas pour elle une activité subsidiaire, elle est l’activité par laquelle nous découvrons la condition humaine. Le travail se définit par les traits suivants : 1/ il est contact de la pensée avec le monde extérieur, 2/ combinaison de réflexion et d’action transformatrice, 3/ moyen de pénétrer le réel et de le faire sien. Autrement dit : par le travail, le monde se fait moins étranger, moins hostile, il accueille mon action comme l’empreinte de ma pensée et de ma liberté.
Évidemment, une telle vision est contrecarrée par les conditions de travail concrètes des personnes. La division du travail, par exemple, en tant qu’elle est répartition stricte des tâches justifiant une hiérarchisation sociale, est critiquée par Weil. De même le capitalisme, en tant qu’il est un système économique où le travail salarié des uns sert de levier à l’enrichissement financier des autres, est rejeté par la philosophe. Elle perçoit tôt que le système soviétique, faussement qualifié de « communiste » est en réalité un capitalisme d’un genre nouveau : « En Russie le patron est parti mais l’usine et les chefs sont restés ».
1/ Théorie de l’oppression
L’organisation capitaliste moderne du travail, dont l’archétype même est l’usine, est source d’oppression. Cela est perçu par SW dès son premier livre, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale(1934). Elle achève ce livre avant son entrée en usine. L’oppression, c’est quand certains commandent et d’autres exécutent et que les conséquences de cet ordre des choses sont néfastes humainement pour les seconds. Dans l’usine moderne, l’homme est scindé, on réclame de son corps des efforts immenses mais on ne cherche absolument pas à ce que l’esprit de l’homme accompagne et comprenne l’acte de production. Cela conduit au « malheur » qui se définit par les caractéristiques suivantes : séparation dualiste corps/esprit ; souffrance physique et moral ; sentiment d’extériorité par rapport à l’objet produit (ce que Marx entendait avec la notion d’« aliénation »).
L’oppression est accentuée par le fait que la science et la technique modernes sont habitées par un idéal de progrès illimité. Elles ne tiennent pas compte de la notion de limite. Ainsi, aussi bien chez Marx que chez les théoriciens du capitalisme, il y a l’idée d’un développement illimité des forces productives comme si l’histoire humaine était marquée par l’augmentation progressive et positive des volumes de production. Pour SW, il faut non pas se libérer du travail mais faire du travail un lieu d’émancipation. Évidemment, ce n’est pas le seul lieu qui peut être émancipateur. La politique, la contemplation, l’amitié, par exemples, sont également des occasions de croître en liberté d’esprit et en force d’âme. Question : comment faire du travail un lieu d’émancipation ? Il faut pour cela passer « d’une nécessité subie à nécessité méthodiquement maniée ». Autrement dit : ne pas subir passivement la puissance des choses et des machines et s’adapter à elles mais faire coïncider la pensée et l’action dans la maîtrise des choses. Cela suppose des lieux de production libérés de l’impératif capitaliste de maximisation du profit et d’utilisation de la force de travail comme une simple « ressource humaine ». Au fond, il s’agit de rendre la personne maître de son travail et non plus soumise à lui. SW n’est pas anti-machine. L’enjeu est pour elle de repenser l’usage de la machine et veiller à ce que les innovations techniques soient faites dans l’intérêt des personnes qui vont les manier. Cela suppose de « supprimer » le taylorisme en tant que méthode de production.
2/ Expérience en usine
Elle s’engage chez Alsthom puis chez Renault durant les années 1934-1935. Expérience de la souffrance et du malheur tel que défini précédemment. Soumise à des cadences, impuissante à penser l’ensemble des mécanismes de production, réduite au statut d’instrument bon à produire. Par les méthodes et les procédés, les ouvriers spécialisés voient leurs membres et leurs esprits rompus. Comment demander la révolution dans ces conditions ? Comment croire qu’une classe qui n’est rien va d’un coup devenir le tout ? Il y a là un espoir compréhensible mais c’est sans doute une illusion. Ce qu’il faut, c’est réparer les usines de l’intérieur en les faisant changer d’orientation et d’organisation. Cela suppose aussi une activité d’ordre politique accomplie au niveau supérieur, à l’échelle historique, de penser la révolution dans le temps long d’améliorations successives.
3/ Travail et spiritualité
Le travail est une nécessité : il nous faut travailler pour vivre. La confrontation avec le réel est ce par quoi nous devons passer pour exister. C’est une occasion d’incarnation mais c’est aussi une expérience douloureuse car le travail est négociation permanente avec l’ordre de la nécessité naturelle. Dans ce face-à-face avec les contraintes du monde, je fais l’expérience de ma finitude et des limites que m’impose le réel, je libère mon désir de surnaturel, c’est à dire d’aller au-delà de l’ordre des choses. La contrainte d’ordre naturel n’est donc pas mauvaise en soi, elle peut au contraire être l’occasion de comprendre ma condition humaine. Ce qui est mauvais, c’est la contrainte sociale, “l’oppression”, l’instrumentalisation du travail des uns pour les intérêts des autres. Souvent l’oppression se couvre du costume de la nécessité naturelle. Elle fait comme si ce qu’elle imposait à ses esclaves n’étaient pas de son fait. Il faut donc revenir au travail comme pur face-à-face avec la nécessité naturelle. C’est la raison pour laquelle SW s’est intéressée à toutes les activités répondant à un besoin humain évident telle que l’agriculture par exemple. Bien compris, le travail n’est pas une punition de Dieu mais une peine et un effort parce qu’il ramène à la nécessité des choses. Ce que remarque SW c’est que lorsque le travail est bien organisé et qu’il évacue toute scission corps/esprit il peut être le lieu du déploiement de la pensée, du consentement à la vie et donc d’une plus grande liberté de l’esprit. Par le travail ainsi défini, je m’incarne davantage dans le monde. Le consentement au travail n’est absolument pas synonyme de soumission devant la contrainte sociale. Devant celle-ci, la révolte est légitime (cf. Grèves et joie pure, autre ouvrage de SW : https://editionslibertalia.com/catalogue/a-boulets-rouges/simone-weil-greves-et-joie-pure )
Extrait des « Choruses from The Rock », pièce de théâtre de T. S. Eliot (1934)
What life have you if you have not life together? There is no life that is not in community, And no community not lived in praise of GOD . Even the anchorite who meditates alone, For whom the days and nights repeat the praise of GOD , Prays for the Church, the Body of Christ incarnate. And now you live dispersed on ribbon roads, And no man knows or cares who is his neighbour Unless his neighbour makes too much disturbance, But all dash to and fro in motor cars, Familiar with the roads and settled nowhere. Nor does the family even move about together, But every son would have his motor cycle, And daughters ride away on casual pillions. Much to cast down, much to build, much to restore; Let the work not delay, time and the arm not waste; Let the clay be dug from the pit, let the saw cut the stone, Let the fire not be quenched in the forge.
Quelle vie est la vôtre si vous n’avez la vie ensemble ? Il n’est pas de vie qui ne soit en communauté, Et pas de communauté qui ne soit vécue en louange à Dieu. Même l’anachorète qui médite seul, Pour qui les jours et les nuits répètent la louange de Dieu, Prie pour l’Eglise, le Corps du Christ incarné. Et maintenant vous vivez dispersés sur des rubans de rues, Et personne ne sait ni ne se soucie de qui est son voisin A moins que son voisin ne cause trop de trouble, Mais tous vont et viennent en se précipitant avec leurs automobiles, Familiers des routes et établis nulle part. Ni même la famille se déplace unie, Mais chaque fils voudrait sa motocyclette, Et les filles partir sur de prosaïques sièges arrière. Beaucoup est à abattre, beaucoup à construire, beaucoup à restaurer ; Que l’œuvre ne soit retardée, ni gâchés le temps et le bras ; Que l’argile soit extraite de la mine, que la scie taille la pierre, Que le feu ne s’éteigne dans la forge.
Pierre-Louis Choquet est docteur en économie et a écrit Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien (2017). Voici le résumé de la conférence qu’il nous a donnée en mars.
Est-il seulement possible de donner une définition d’un phénomène si pluriel, dont on peine à cerner les contours? Plutôt que de clore le problème, j’ai suggéré qu’il était utile de le ré-ouvrir sans cesse, de multiplier les tentatives d’approche, d’explorer des perspectives – et ce afin de mieux comprendre ce que nous cherchons à dire lorsque nous prononçons le mot ‘capitalisme’. Faut-il y voir une capacité de certains acteurs commerciaux à désorganiser les structures d’échanges traditionnelles, et à les prendre de vitesse? Les travaux de Fernand Braudel sur l’économie médiévale nous permettent de faire cette hypothèse. Ou faut-il, au contraire, considérer que le capitalisme consiste en l’exploitation d’individus qui n’ont d’autre choix que de vendre leur force de travail pour survivre? Des filatures anglaises du XIXè à Deliveroo, l’écart est peut-être moins grand qu’on ne le pense – et Karl Marx nous aide à le comprendre. Ou encore, le capitalisme est-il avant tout un système de valeurs, rendu possible par la rationalisation croissante des processus sociaux et l’adhésion toujours plus grande des individus à des idéaux d’efficacité sociale ? Les travaux de Max Weber permettent d’y voir plus clair, et de comprendre que nous vivons dans un monde désormais pénétré de cet ‘esprit du capitalisme’ qui, décidément, nous colle à la peau. Mais plus concrètement, ne devrait-on pas simplement relever que le capitalisme est avant tout une histoire d’entreprise?
Avec beaucoup de clairvoyance, Thorstein Veblen avait anticipé cette réalité institutionnelle, et suggéré qu’il fallait désormais prendre les organisations et leur réalité bureaucratique au sérieux. A l’heure où les GAFA et autres léviathans semblent être devenus les nouveaux souverains, son propos me semble avoir gardé sa pertinence. Enfin, et peut-être en complément de tout ce qui a été dit, le capitalisme ne serait-il pas une dynamique sociale reposant sur la marchandisation croissante du monde – de la terre, du travail, de la monnaie? C’est ici Karl Polanyi qui se fait notre contemporain, pour penser les modalités nouvelles de l’accaparement – alors que celui-ci prend des visages que l’économiste hongrois n’aurait probablement pas anticipé. Si votre curiosité reste insatisfaite, quelques lectures plus contemporaines viendront prolonger la réflexion… ainsi de ces quatre titres:
Si tu es pour l’égalité, pourquoi es- tu si riche? de G. A. Cohen, est une introduction rigoureuse aux grandes thématique du marxisme
Géographie de la domination de D. Harvey, explore les implications géographiques de cette même école de pensée
L’anthropocène contre l’histoire d’A. Malm examine les ressorts de la crise climatique contemporaine
Gouverner le capitalisme d’I. Ferreras aborde avec beaucoup de pédagogie la question du gouvernement des entreprises.
Le 23/02/19 au 104, rue Vaugirard, Le Dorothy a participé à une journée d’études organisée par l’association Hermeneo et le Dorothy.
But de la journée : Vivre un dialogue interreligieux de projet c’est-à-dire échanger avec des croyants sur des sujets de sociétés qui nous interpellent tous, pour ensuite agir ensemble.
Table ronde. Thème : L’écologie dans les textes religieux
Etienne Grenet, prêtre catholique, professeur de Bible au collège des Bernardins et accompagnateur d’un groupe de jeunes professionnels en réflexion sur Laudato Si depuis 4 ans.
Dans le premier récit de la Création, dans le livre de la Genèse, dans la Bible, on peut lire : « A son image, il les créa. » Il y a un élément d’immanence et un élément de transcendance dans l’être humain tel que Dieu le créé. L’homme reflète d’une façon toute particulière l’être de Dieu. Dans le deuxième récit de la Création (également dans la Genèse), il est écrit que Dieu, après avoir façonné l’homme et la femme, y introduit « le souffle de la vie ». Il est vrai que dans le christianisme, l’être humain occupe une place centrale dans le monde créé. La modernité capitaliste peut être comprise comme la dégénérescence de cet anthropocentrisme. On est dans une démesure qui en vient à mettre en péril la préservation même de la vie sur terre. Dans le livre de la Genèse, l’être humain est appelé à « cultiver et à garder » le « jardin » que Dieu lui offre en créant le monde. On cultive le monde en le gardant, en prenant soin. Certes, le monde n’est figé ; il demande à être travaillé, modelé, transformé. L’être humain est en interaction avec la nature, il créé de nouvelles choses à partir de cette interaction. La mission centrale de l’homme est de parachever l’œuvre de la Création en y œuvrant par son travail et son inventivité. Ce faisant, il se parachève lui-même – c’est-à-dire que ce travail l’humanise. De manière plus profonde encore, le travail humain rejoint l’autre mission essentielle de l’homme : rendre un culte à Dieu. Le travail doit s’achever dans l’action de grâce du repos sabbatique : c’est ce que suggère déjà l’emploi des mots “cultiver et garder”, qui, en hébreu, sont des mots clés de la vie religieuse : cultiver désigne le service cultuel, et garder désigne l’observance de la Loi. La suite du livre de la Genèse nous parle d’une cassure : ce qu’on appelle la « chute », le « péché originel ». Cela vient tordre notre être : le rapport à Dieu devient vicié (on en vient à avoir peur de Dieu), le rapport aux autres et à la nature en vient à être marqué par la logique de la domination. Cela ne signifie pas que la tâche de garder et de cultiver le jardin devient impossible mais qu’elle devient difficile et que l’homme a tendance, dans l’histoire, à s’en éloigner et à oublier cette mission fondamentale.
La parabole du Fils prodigue est particulièrement révélatrice de l’attitude de l’homme. Après avoir été éveillé à la liberté par un père aimant, l’homme « prend la part d’héritage qui lui revient et va la dilapider ». Nous pouvons espérer qu’après ce comportement adolescent, l’humanité choisisse une vie d’adulte responsable. En tant que chrétiens, nous sommes obligés de faire un retour critique sur notre histoire pour comprendre comment et pourquoi avons-nous avalé la pilule du matérialisme démiurgique ?
Aujourd’hui face à la crise écologique, comment retrouver le sens de cette tâche ? En contemplant la nature (les psaumes, notamment le psaume 18/19 y invite) et les êtres vivants (Livre de la Sagesse, 13) qui portent en eux une certaine empreinte de la beauté du Créateur de toute chose.
Omero Marongiu, sociologue et théologien musulman à Nantes. Il travaille notamment sur le sujet du végétarianisme.
La question du croyant est : qu’est-ce que Dieu attend de nous ? On va faire ici une lecture vectorielle du Coran, c’est-à-dire qu’on va se saisir de certains passages et en proposer une interprétation. Le Coran porte un message anthropologique, c’est-à-dire qu’il propose une réponse à la question : qu’est-ce que l’homme ? Dans le Coran, l’homme est ontologiquement relié aux animaux et aux éléments. Mais il y a une notion importante qu’il faut comprendre pour éclairer la singularité humaine. Il est écrit dans un passage important du Coran : « Dieu a proposé le dépôt aux cieux, à la terre et aux montagnes qui l’ont refusé, l’homme lui l’a accepté. » Comment comprendre ce passage ? 1° : on apprend que Dieu a communiqué avec le monde et que le monde a répondu. L’intelligence, la capacité de communiquer, appartiennent donc aussi aux minéraux, végétaux, animaux. 2° : l’être humain a accepté le dépôt, il occupe donc une certaine enc. Les autres êtres aussi sont intelligents, ils ont aussi la capacité de louer Dieu à leur façon. Mais l’homme seul a accepté de porter le fardeau de la liberté. Le « dépôt », c’est donc cela : la liberté et le fait d’assumer les conséquences qu’implique la possession de cette faculté très vaste. La liberté implique une capacité d’action agrandie, qqch que l’homme possède en propre. Dès lors, en retour de cette faculté qui a du poids, apparaît la notion de responsabilité. Nous sommes libres mais cette liberté demande à être mise au service de la volonté divine. Il faut s’interroger sur les causes qui ont mis en avant ce paradigme de la domination.
Marongiu rappelle que des penseurs soufis dès le XIVème siècle parlent déjà de l’intelligence des animaux et du lien de collaboration de l’homme avec la création. Il souhaite s’inspirer de cette théologie pour apprendre à collaborer et non à écraser le monde. L’urgence de la crise écologique est telle que la collaboration est la seule option possible. Aujourd’hui, nous n’entendons pas le cri des animaux et de la Création (des baobabs millénaires meurent en ce moment, ce n’est pas dans un film de Spielberg, c’est actuel, mais nous détournons les yeux) car nous sommes prisonniers d’une lecture dominatrice du monde. Dieu a donné les clefs de la maison à tout homme, quelle que soit sa religion. Ainsi il faut collaborer avec toutes les traditions religieuses et avec la création directement. Il constate que les croyants n’attendent pas les directives des savants pour s’engager dans une conversion écologique et que des musulmans se mobilisent pour créer des petites fermes écologiques ainsi que des filières d’abattage plus respectueuses des animaux, mais il faut aller encore plus avant ».
Nous vivons dans le temps, avec le temps, en fonction du temps qui passe. C’est dans le temps que nous ancrons notre rapport au monde, aux autres, à nous-mêmes. Pour autant la notion même de temps n’est pas si facile à définir, et il n’est probablement pas “le même” pour tous et en toutes circonstances. Quelles sont les différentes acceptions du mot “temps” ? On peut le prendre ou le perdre, le mesurer ou le contrôler, il nous est souvent compté : combien vaut-il ?
Lors de ce parcours en trois “temps”, nous avons d’abord essayé de comprendre, avec Sibylle Duhautois et Charles Wanecq, ce qu’est le temps pour un historien, en abordant ses différentes définitions possibles , la façon dont la notion même a pu évoluer à travers l’histoire, et ses possibles déformations et utilisations pour des enjeux de pouvoir. Ensuite nous avons abordé avec le très honorable Serge Latouche la question sous un angle social et économique : comment “le temps” est-il utilisé par les entreprises pour favoriser l’obsolescence des produits que nous consommons ? Comment enrayer cet engrenage infernal qui nous pousse à rentrer dans la spirale toujours plus rapide et aliénante de cette culture du déchet ? Enfin, nous sommes entrés dans une perspective plus théologique autour de la notion de “Royaume de Dieu”, en nous posant la question de ce qu’est “le temps” pour Dieu, ou plutôt de la façon dont nous pouvons comprendre l’éternité divine au regard de notre expérience humaine, grâce aux lumières du père Matthieu Villemot
(1/3) D’où vient le temps ?
Sibylle Duhautois et Charles Wanecq, docteurs en histoire à Sciences Po Paris, traitent dans leurs travaux respectifs de l’histoire de la notion de futur (à travers les études de futurologie menés par l’ONU) et de la notion d’urgence (à travers l’histoire des secours d’urgence en France). Ils ont étudié donc l’historiographie consacrée au temps et nous en ont donné un aperçu.
Le temps est devenu un objet d’histoire assez récemment, à travers les travaux de Norbert Elias sur les évolutions des formes du travail (entre contrainte sociale et liberté individuelle), mais surtout avec l’ouvrage de référence de Edward P. Thompson, Past and present (en fraçais : Temps, discipline du travail et capitalisme industriel). Pour E.P. Thompson, l’ère industrielle marque le passage du travail mesuré à la tâche vers le travail mesuré à la durée. La mesure du temps devient une contrainte pour les forces productives, et remplace les rythmes naturels. A son tour, Reihard Koselek marque l’historiographie avec Futur passé (1989) en étudiant l’histoire du concept de temps (courant en histoire propre aux années 70, qui étudie l’histoire des concepts), en désignant le passé comme “le champ de l’expérience”, le futur comme “l’horizon d’attente”. La relation entre ces deux repères est fluctuante selon les époques ; elle a notamment changé à la fin du XVIIIe siècle (années 1780) en Europe, juste avant la Révolution française : avant le temps était conçu comme cyclique (avec toujours un déclin à un moment donné), ensuite le temps a été pensé comme un progrès, notion qui n’existait pas auparavant. Une autre étude importante, La culture du temps et de l’espace, portant sur les années 1880-1918), par Stephen Kern, a montré que cette évolution du rapport au temps n’était pas nécessairement linéaire : autant cette période est importante du point de vue technologique et permet par exemple l’expérience de la simultanéité des échanges, avec le télégraphe, de façon très inédite, autant la 1er guerre mondiale a introduit une rupture, et est un bon exemple que le temps dépend fortement du groupe culturel auquel on appartient. Enfin François Hartog, avec sa notion de “régime d’historicité”, a émis l’hypothèse que l’esprit général était “futuriste” jusque dans les années 1980, puis présentiste aujourd’hui : on ne se projetterait plus, il n’y a plus de grandes idéologies. En réalité, cette lecture est à nuancer, d’autant qu’on trouve déjà la même idée dans les années 50 (chez Fred Polak).
Depuis les années 2000 et 2010, il y a une multiplication des travaux historiques portant sur le temps, sur le rapport au temps des sociétés, notamment sur “l’unification du temps du monde” (1884 : conférence sur les fuseaux horaires à Washington, qui a pour objectif de faciliter le fonctionnement du train et d’éviter les accidents), sur les conflits que cela a pu générer (notamment dans les colonies européennes jusque dans les années 1940, par ex en Inde où il était inacceptable que l’Angleterre impose ses tours d’horloge partout), et sur la façon dont la maîtrise du temps est une question politique (exemples d’échecs : le projet de la suppression de la sieste sous Franco en Espagne, le calendrier républicain révolutionnaire).
Nous avons ensuite discuté les travaux des intervenants, notamment ceux de Sibylle sur la futurologie, thème fascinant. La futurologie était une discipline forcément biaisée par les hypothèses, les aprioris, et les objectifs politiques des personnes qui les menaient. Néanmoins, elles avaient le mérite de porter sur l’ensemble du monde comme étant solidaire : pourquoi aujourd’hui on ne fait plus d’étude globale sur le futur du monde et seulement sur certains de ses aspects / certaines zones ? Est-ce que les problèmes écologiques ne sont pas en train de nous replacer devant la nécessité de “penser global”, de façon solidaire ?
(2/3) Le futur est-il périssable ?
Serge Latouche, économiste et auteur de nombreux ouvrages sur la décroissance, nous a rappelé le contexte et l’histoire de la notion d’”obsolescence programmée”, avant de nous inviter à l’action et au refus du désespoir.
SErge Latouche a commencé par nous rappeler les trois types de travers que connaît l’économie humaine : l’illimitation de la production : produire sans limite – donc détruire nos ressources naturelles, l’illimitation de la consommation, l’llimitation des déchets (pollution de l’air/l’eau/la terre). C’est dans le deuxième travers que se greffe l’obsolescence programmée.
On compte 3 pousse-au-crime :
– la publicité (qui nous fait désirer ce que nous n’avons pas) (2e budget annuel après l’armement) ;
– les crédits à la consommation accordé par les banques (anticiper sur des revenus que nous n’aurons peut-être jamais et consommer aujourd’hui ce que nous gagnerons peut-être demain) ;
– l’obsolescence programmée pour ceux qui résisteraient encore à la pub et aux crédits. Electroménager, informatique… On jette plus qu’on ne répare.
Concrètement, qu’est-ce que l’obsolescence programmée ? Pour renouveler nos consommations pas assez rapides, pour justifier une production de masse toujours plus grande, on introduit dans un objet un élément qui va le faire tomber en panne et va inciter le consommateur à acheter un nouvel objet neuf. On peut aussi parler de « building obsolescence », cad incorporée dans le produit. On parle d’obsolescence planifiée quand on la vise pour relancer une économie ou quand on fait passer des primes à la casse.
Le mot obsolescence apparait d’abord en Angleterre à propos de l’obsolescence technique, pour désigner le fait qu’un équipement n’est plus vraiment up to date ; non pas usé, mais moins performant que ce qui a été fait depuis (non pas l’usure physique, mais l’usure morale). C’est un phénomène qui n’est pas nouveau en soi. Mais avec le développement industriel et la production de masse, les innovations s’accélèrent et donc l’obsolescence arrive plus vite. Le mot est introduit en Angleterre en 1828, et vers 1950 dans la littérature économique. Il ya aussi une autre obsolescence, d’ordre symbolique ou esthétique : on l’appelle aussi “la mode”. Clifford B. Stevens, un designer, déclare avoir inventé l’obsolescence programmée : c’est en fait une obsolescence symbolique/esthétique. En fait la réalité existait avant qu’on mette un mot dessus, et bien avant qu’on se mette à en parler: par exemple en 1924 à Genèse, avec le cartel Phoebus (fabricants d’ampoules). Ils décident que des ampoules durant des millions d’heures sont à bannir (une ampoule allumée en 1902 est toujours allumée dans une caserne de pompiers en Californie). Donc ils les calibrent pour durer moins de 3-4000 heures : ils disent que leur durée ne doit pas dépasser 1 000 heures. Des amendes étaient prévues pour ceux qui dépassent cette durée. Ce cartel a été condamné aux USA. Mais ils payèrent l’amende et purent ainsi continuer à frauder….
L’ère du jetable commence en 1945. Ce n’était pas naturel à l’époque, surtout pour les Européens. Avant, il y a eu un conflit entre un monde du business qui veut écouler et un monde des ingénieurs qui veulent produire de la qualité (tradition héritée de l’artisanat qui vise un produit solide). L’automobile voit se livrer vers 1923 une grande bataille entre Henry Ford (l’inventeur de la fameuse Ford T, voiture robuste destinée aux farmers du Middle West), ayant une culture d’ingénieur, et Alfred Slown qui deviendra directeur de General Motors, qui vise un public autre, qu’il veut séduire sur l’esthétique et l’impression extérieure, et qui veut sortir de nouveaux modèles tous les 2-3 ans, avec quasi aucune différence technique mais une nouvelle carrosserie : c’est ce qu’on appellera la « culture de Detroit ».
Les enjeux pour aujourd’hui sont de trois ordres :
– économique. L’obsolescence programmée fait partie du code génétique de notre système capitaliste de marché. Le rapport marchand est basé sur l’idée d’acheter le moins cher possible et de vendre le plus cher possible (cf. Aristote qui en parlait déjà ; on parle de “l’adultération” des produits), le capitalisme n’est que la généralisation de ce système marchand qui n’est pas récent.
– écologique : immense gaspillage de matière première. Quand Bernard London a écrit son opuscule préconisant l’obsolescence programmée, c’était un temps où le souci écologique n’existait pas. Gaspillage d’énergie également. Et bien sûr la pollution monstrueuse
– sociologique : cela modifie les comportements. Les puritains américains sont devenus des gaspilleurs… Mais plus généralement : on traite moins bien les objets, on les respecte moins. On ne pense plus au rapport au travail de celui qui a fabriqué notre objet. Et dorénavant les humaines aussi sont “jetables”, dans le monde du travail notamment…
Les mesures à prendre peuvent être d’allonger la durée de garantie des produits (c’est fait au niveau européen, fur aire passer certains objets de 2 ans à 5 ans par exemple). Le problème étant que les lobbys industriels se disent non responsables et accusent les consommateurs (“on prévoit nos objets pour 24 mois et ils sont changés en fait en moyenne au bout de 18 mois…”); certes, mais les consommateurs sont aussi victimes de la publicité et d’un système.
Ce qu’on appelle l’écoconception consiste à concevoir des objets perfectibles (on peut changer une pièce sans devoir tout changer), et non simplement remplaçables. Imposer cela serait déjà commencer à changer de système. Un autre sujet de réflexion est l’économie fonctionnelle (distinction équipements ménagers ≠ biens de consommation) : on ne consomme pas un frigo, mais son usage ; on ne le consomme comme on consomme un steak mais on en loue son usage : cela est testé un peu dans certains pays du nord, où l’on achète l’usage.
En tous cas, la solution proposée par Serge Latouche consiste à sortir résolument de la société de croissance en allant vers une société de décroissance, non plus basée sur ce logiciel de produire/consommer/rejeter toujours plus, mais basée sur l’auto-limitation, retrouver le sens de la mesure et construire une abondance dans la frugalité : la décroissance, c’est décroitre sur le plan matériel pour croître sur le plan de la joie et de la vie.
(3/3) Le Royaume de Dieu existe-t-il dans le temps ?
Le père Matthieu Villemot, docteur en philosophie, enseignant au collège des Bernardins et prêtre du diocèse de Paris, nous a donné une conférence très riche et précise sur le sujet, dont il a eu la gentillesse de nous donner le texte en intégralité, ci-dessous.
Le Royaume est-il de notre temps ?
I. Introduction :
L’expression « royaume de Dieu » désigne d’abord dans l’évangile la résurrection finale, que nous attendons encore. Mais cela ne signifie pas que le royaume est reporté aux calendes et qu’il ne concerne en rien notre temps. Jésus a aussi dit que le royaume était au milieu de nous aujourd’hui. Nous allons voir ces deux dimensions de l’espérance du royaume, dans l’ancien et le nouveau testament avant de voir comment elles s’articulent dans notre agir chrétien aujourd’hui, spécialement dans notre action caritative.
II. Ancien Testament :
L’ancien testament insiste sur le fait que Dieu est roi. Il est roi d’Israël. Mais il est aussi le roi des nations, et les autres rois sont dans sa main. Il est enfin le roi de la création. Les psaumes y insistent :
« Le Seigneur est roi ; il s’est vêtu de magnificence, le Seigneur a revêtu sa force. Et la terre tient bon, inébranlable ; dès l’origine ton trône tient bon, depuis toujours, tu es[1] ». « Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi ! Le monde, inébranlable, tient bon. Il gouverne les peuples avec droiture. Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent, la campagne tout entière est en fête. Les arbres des forêts dansent de joie devant la face du Seigneur, car il vient, car il vient pour juger la terre. Il jugera le monde avec justice, et les peuples selon sa vérité [2]» ! « Au son de la trompette et du cor, acclamez votre roi, le Seigneur ! Que résonnent la mer et sa richesse, le monde et tous ses habitants ; que les fleuves battent des mains, que les montagnes chantent leur joie, à la face du Seigneur, car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture[3] » !
Ce royaume est donc une réalité présente et malheur à qui ne s’y soumet pas. Mais progressivement, Israël découvre aussi une réalité eschatologique du royaume. Dieu promet à David un descendant qui règnera pour toujours sur sa maison et qui fera triompher la justice. C’est l’idée messianique. Le messie va venir, il règnera sur Israël et sur les nations au nom de Dieu. Le texte qui souligne le plus la dimension future de ce règne se trouve en Daniel. Daniel déchiffre un rêve du roi qui voit une statue « Elle avait la tête en or fin ; la poitrine et les bras, en argent ; le ventre et les cuisses, en bronze ; ses jambes étaient en fer, et ses pieds, en partie de fer, en partie d’argile[4] ». Cette statue représente des royaumes terrestres qui se succèdent et qui sont de plus en plus faibles. « Soudain une pierre se détacha d’une montagne, sans qu’on y ait touché ; elle vint frapper les pieds de fer et d’argile de la statue et les pulvérisa[5] ». Et Daniel commente :
« Le Dieu du ciel suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit, et dont la royauté ne passera pas à un autre peuple. Ce dernier royaume pulvérisera et anéantira tous les autres, mais lui-même subsistera à jamais. C’est ainsi que tu as vu une pierre se détacher de la montagne sans qu’on y ait touché, et pulvériser le fer, le bronze, l’argile, l’argent et l’or. Le grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit ensuite advenir[6] ».
Cette fois-ci, ce royaume, qui est celui du Messie, doit venir dans le futur. Israël l’attend avec persévérance.
Cette espérance se déploie progressivement parce qu’il devient évident qu’il reste quelque chose à attendre de la réalisation des promesses de Dieu. Dieu a promis à David que sa lignée règnerait pour toujours sur Israël or Israël fait l’expérience de la défaite militaire devant l’empire de Babylone et l’élite des chefs est déportée à Babylone. En outre, la loi demande qu’Israël soit saint, « soyez saint car moi le Seigneur je suis saint[7] », or le peuple fait l’expérience qu’il est toujours pécheur. Israël attend donc le jour où Dieu le délivrera à la fois des ennemis extérieurs et du péché intérieur.
Nous avons donc dès l’ancien testament cette bipolarité : le royaume de Dieu est déjà présent mais pourtant il faut l’attendre.
III. Le Royaume est pour Demain :
Dans l’évangile, la mention du royaume de Dieu est d’abord eschatologique. Elle renvoie à ce qui viendra à la fin des temps. C’est d’abord manifeste dans la prière du Notre Père, où nous demandons que le règne vienne[8], ce qui implique qu’il n’est pas encore là. C’est également manifeste dans les discours apocalyptiques de Jésus. Il dit par exemple aux prêtres et aux anciens du peuple : « Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. Et tout homme qui tombera sur cette pierre s’y brisera ; celui sur qui elle tombera, elle le réduira en poussière[9] ! ». Il compare le royaume des cieux à dix vierges invitées à leurs noces avec l’époux et qui attendent ces noces[10]. Le Royaume se fait donc attendre. Dans la description du jugement dernier, le Fils de l’homme dit aux élus : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde[11] ». Le Royaume sera donc lié au jugement dernier et à la résurrection des morts. Les apôtres ont compris qu’il fallait attendre quelque chose du royaume puisqu’au moment de l’ascension, ils demandent à Jésus : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël[12] ? »
Saint Paul nous explique pourquoi il faut attendre le royaume des cieux à la fin des temps :
« De même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort car il a tout mis sous ses pieds. Mais quand le Christ dira : « Tout est soumis désormais », c’est évidemment à l’exclusion de Celui qui lui aura soumis toutes choses. Et, quand tout sera mis sous le pouvoir du Fils, lui-même se mettra alors sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous[13] ».
Le règne de Dieu suppose la victoire totale de Dieu sur ses ennemis, en particulier sur ses deux ennemis fondamentaux qui sont le péché et la mort. Or, nous constatons bien que ces deux ennemis sont encore actifs aujourd’hui. Nous péchons et nous mourrons. En conséquence, nous ne sommes pas encore dans le royaume. Et l’espérance chrétienne ne doit pas être amputée. Nous n’espérons rien de moins que la disparition totale de la mort, de la souffrance et du péché. Nous ne pouvons nous contenter de petites améliorations locales qui font que nous souffrons un peu moins ou péchons un peu moins. Le Christ a promis une victoire totale, un moment où « Dieu sera tout en tous ».
Le royaume de Dieu, ce sera donc le règne de la résurrection, où les élus vivront parfaitement unis à Dieu jusque dans leur corps, délivrés de la mort et du péché. Ce royaume de Dieu sera inauguré par le retour du Christ suivi par le jugement dernier, qui séparera les élus des damnés comme le Christ l’a maintes fois annoncé explicitement.
Cette espérance brulait les premières générations chrétiennes. Il semble bien que les premières générations chrétiennes aient cru que la résurrection aurait lieu de leur vivant. Cette impatience sourd de textes comme celui-ci :
« Bien-aimés, il est une chose qui ne doit pas vous échapper : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. Cependant le jour du Seigneur viendra, comme un voleur. Alors les cieux disparaîtront avec fracas, les éléments embrasés seront dissous, la terre, avec tout ce qu’on a fait ici-bas, ne pourra y échapper. Ainsi, puisque tout cela est en voie de dissolution, vous voyez quels hommes vous devez être, en vivant dans la sainteté et la piété, vous qui attendez, vous qui hâtez l’avènement du jour de Dieu, ce jour où les cieux enflammés seront dissous, où les éléments embrasés seront en fusion. Car ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. C’est pourquoi, bien-aimés, en attendant cela, faites tout pour qu’on vous trouve sans tache ni défaut, dans la paix[14] ».
Saint Pierre exhorte à la fois les croyants à ne pas s’impatienter de l’apparent retard du Seigneur et à se tenir prêt pour un événement imminent. Cela dit, il reprend le thème évangélique du voleur[15] et confirme que le nouveau testament n’a jamais voulu nous donner la date du royaume de Dieu.
Cette impatience du Royaume a connu des excès. J’en vois deux principalement dangereux : d’une part, l’attente du royaume des cieux s’est parfois accompagnée de l’idée de le faire advenir par la violence. C’était la conviction des anabaptistes de la guerre des paysans dans l’Allemagne du 16ème siècle, qui ont mené une guerre civile terrible dans l’espoir de faire venir plus vite le Royaume. C’était aussi la conviction de certains mouvements de la révolution anglaise entre 1640 et 1660, comme les hommes de la cinquième monarchie, qui reprenant la vision apocalyptique de Daniel voulaient faire advenir le royaume de Dieu par l’insurrection. Une tentation du même genre a peut-être existé dans certaines formes déviantes de la théologie de la libération au 20ème siècle. C’est une aberration. Dieu est amour[16], le royaume de Dieu est donc la victoire totale de l’amour comme le montre la description du jugement dernier qui fait entrer dans le royaume ceux qui ont vécu la charité. La violence ne peut donc pas conduire au royaume de Dieu.
L’autre déviance, c’est de tellement s’obséder sur le royaume de Dieu qui viendra demain qu’on finit par en oublier nos obligations d’aujourd’hui. C’est la religion « opium du peuple » dénoncée par Marx[17]. Souffrez tranquillement aujourd’hui, ce n’est pas grave puisque demain vous serez délivrés. C’est mal comprendre l’enseignement du Christ qui a toujours soulagé les souffrances là et quand il les a rencontrées sans attendre.
Mais notre époque est traversée par un autre problème : nous n’attendons plus la fin des temps. Nous avons beaucoup insisté sur la nécessité d’agir aujourd’hui. Nous avons souligné combien la charité ne peut pas attendre et nous excellons à mobiliser nos bénévoles pour des actions concrètes immédiates. Nous avons aussi souligné, depuis Vatican II, la nécessité de dialoguer avec le monde contemporain, d’habiter ce monde aujourd’hui, d’y discerner tout ce qui s’y fait de bon et donc d’y participer généreusement. Tout cela est excellent. Mais cela nous a fait perdre l’attente eschatologique. Elle est revenue chez nos frères évangéliques. Il nous faut demander la grâce de la retrouver. En effet, seule la venue du royaume entendu dans son sens strict répond à nos angoisses. Elle seule nous délivre des affres de la mort. Par exemple, à une mère qui a perdu son enfant, quelle qu’en soit la cause, il faut annoncer que son enfant ressuscitera, qu’elle le prendra dans ses bras, qu’elle l’entendra l’appeler « maman ». C’est la seule espérance à hauteur du drame. Il est très important de souligner que Jésus a relié l’annonce du jugement dernier à la charité exercée : « ce que vous faites au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous le faites ». Notre charité doit être habitée du désir de voir revenir Jésus pour triompher de tout mal. Il nous faut demander la grâce d’à nouveau brûler d’impatience pour le retour du Christ et oser l’annoncer au monde.
IV. Le Royaume est déjà présent :
Pourtant, dans le même élan, Jésus a aussi dit que le royaume de Dieu est présent. Il l’a dit en toutes lettres à plusieurs reprises :
« Comme les pharisiens demandaient à Jésus quand viendrait le règne de Dieu, il prit la parole et dit : La venue du règne de Dieu n’est pas observable. On ne dira pas : “Voilà, il est ici !” ou bien : “Il est là !” En effet, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous[18]. » « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux[19] ». « Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent.[20] »
Le royaume est déjà présent. Il est intéressant de signaler que cette seconde affirmation est aussi posée au sujet des pauvres : « heureux les pauvres », « le royaume est à ceux qui ressemblent aux enfants ». Décidément, les pauvres sont étroitement liés au mystère du royaume des cieux. De ce point de vue, il faut crucifier la tentation de penser et de dire que notre vie actuelle n’est pas la vraie vie, la vie bonne, que la vie bonne sera seulement la vie éternelle après la résurrection. En réalité, la vie éternelle commence véritablement dès ici-bas. Ce point est capital pour la défense de la vie : si la seule vie bonne est après la mort, pourquoi refuser l’avortement et l’euthanasie ? Cet argument est d’ailleurs utilisé par certains défenseurs de l’euthanasie[21]. Saint Jean-Paul II tenait parfaitement cet équilibre en écrivant ceci :
« La vie dans le temps est une condition fondamentale, un moment initial et une partie intégrante du développement entier et unitaire de l’existence humaine. Ce développement de la vie, de manière inattendue et imméritée, est éclairé par la promesse de la vie divine et renouvelé par le don de cette vie divine; il atteindra son plein accomplissement dans l’éternité (cf. 1 Jn 3, 1-2). En même temps, cette vocation surnaturelle souligne le caractère relatif de la vie terrestre de l’homme et de la femme. En vérité, celle-ci est une réalité qui n’est pas « dernière », mais « avant-dernière »; c’est de toute façon une réalité sacrée qui nous est confiée pour que nous la gardions de manière responsable et que nous la portions à sa perfection dans l’amour et dans le don de nous-mêmes à Dieu et à nos frères[22] ».
La vie sera pleinement elle-même après la résurrection, quand elle sera libérée de tout ce qui l’entrave mais elle commence vraiment aujourd’hui et elle est déjà sacrée aujourd’hui.
Il y a là un paradoxe qu’il faut tenter de comprendre. La solution est assez simple : le royaume de Dieu au sens strict, nous l’avons dit, c’est le retour du Christ. C’est également, et pour cette raison même, la victoire totale de la charité. Par conséquent, partout où le Christ est présent, partout où la charité est vécue, le royaume de Dieu est déjà véritablement commencé. Par exemple, à l’eucharistie, nous recevons déjà le corps ressuscité du Christ. Nous vivons déjà quelque chose de notre propre résurrection. Nous sommes donc déjà pris par avance dans le Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu est donc déjà présent partout où le Christ et la charité sont présents. Le Christ relie spécialement cette présence du royaume à la pauvreté et à l’esprit d’enfance, qui est un autre nom de la pauvreté, parce que c’est une manière de l’imiter, donc de le rendre présent. Le royaume de Dieu est au milieu de nous parce que l’Église est déjà le commencement de ce royaume, elle qui a le Christ pour tête. Lorsqu’il apparaît à Saül au moment de sa conversion, Jésus lui dit : « Je suis Jésus, celui que tu persécutes[23] ». Qui persécute un chrétien persécute le Christ parce que l’Église, comme le dira saint Paul après cette expérience, est le corps du Christ dont Jésus est la tête.
Cette seconde affirmation sur le royaume est bien plus facilement crue de nos jours. Pourtant, plusieurs obstacles peuvent se dresser devant cette foi. Est-il si évident que cela que Jésus est présent dans le monde aujourd’hui ? Il y a la persistance du scandale du mal, avec par exemple le terrorisme islamique. Il y a la déchristianisation sui semble montrer que la foi en Dieu recule un peu plus chaque jour. Elle s’accompagne d’attaques contre la famille toujours plus graves. Il y a ensuite les péchés de l’Église. Est-il si facile de croire que l’Église est le corps du Christ qui rend présent Jésus quand nous voyons le scandale des prêtres pédophiles ? Pourtant, Jésus a promis cette présence tout au long des jours avec ses disciples : « et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde[24] ». En réalité, les épreuves de l’Église sont les épreuves du Christ. Il rend présent son mystère pascal aujourd’hui par les épreuves de l’Église. Quand l’Église est rejetée, Jésus rend présent le fait qu’il est mort rejeté par son peuple. Le scandale du mal, c’est le scandale de la croix qui continue aujourd’hui. Quant au péché des chrétiens, Paul a dit que Jésus « a été fait péché pour nous[25] ». Lorsqu’il s’est fait homme, il est devenu semblable à nous en toute chose exceptée le péché. Mais il prend sur lui ce péché en assumant le péché des chrétiens. C’est ainsi qu’il peut en triompher.
V. Tenir l’Équilibre :
Ainsi, il nous faut tenir cet équilibre : le royaume, pris stricto sensu, est encore à venir. Nous devons l’espérer avec ardeur. Mais en même temps, il commence réellement aujourd’hui chaque fois que nous vivons la charité et rendons Jésus présent.
Benoit XVI a fortement développé ce lien des deux espérances dans son encyclique Spe salvi :
« Nous avons besoin des espérances – des plus petites ou des plus grandes – qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin. Mais sans la grande espérance, qui doit dépasser tout le reste, elles ne suffisent pas. Cette grande espérance ne peut être que Dieu seul, qui embrasse l’univers et qui peut nous proposer et nous donner ce que, seuls, nous ne pouvons atteindre. Précisément, le fait d’être gratifié d’un don fait partie de l’espérance. Dieu est le fondement de l’espérance – non pas n’importe quel dieu, mais le Dieu qui possède un visage humain et qui nous a aimés jusqu’au bout – chacun individuellement et l’humanité tout entière. Son Règne n’est pas un au-delà imaginaire, placé dans un avenir qui ne se réalise jamais ; son règne est présent là où il est aimé et où son amour nous atteint. Seul son amour nous donne la possibilité de persévérer avec sobriété jour après jour, sans perdre l’élan de l’espérance, dans un monde qui, par nature, est imparfait. Et, en même temps, son amour est pour nous la garantie qu’existe ce que nous pressentons vaguement et que, cependant, nous attendons au plus profond de nous-mêmes : la vie qui est « vraiment » vie[26] ».
Benoit XVI dit ici que nous avons besoin des petites espérances de tous les jours, l’espérance que les choses iront un peu mieux demain, mais qu’elles ne sont rien si elles ne sont pas adossées à la grande espérance, l’espérance de la venue de Dieu qui se vit aujourd’hui mais que nous attendons parfaitement pour demain quand nous entrerons dans la vie éternelle.
Je préfère reformuler ainsi : il y a l’espérance d’aujourd’hui, l’espérance par exemple de trouver un hébergement pour tel SDF accompagné, et il y a l’espérance de demain, l’espérance de la résurrection. Benoit XVI nous demande de tenir les deux ensemble. Nous allons voir qu’elles se tiennent réciproquement : j’ai besoin de croire en la résurrection finale pour agir de manière évangélique aujourd’hui, j’ai besoin d’agir aujourd’hui pour que ma foi en la résurrection ne soit pas vaine.
Commençons par ce second point. « Montre-moi ta foi qui n’agit pas[27] », nous dit saint Jacques. Il prend encore le cas de la charité envers les plus pauvres :
« Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : « Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim ! » sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il[28] » ?
À quoi sert de croire dans le retour du Christ, le jugement dernier, la résurrection des morts si cela ne change rien à ma vie aujourd’hui ? Croire que la résurrection viendra, c’est travailler à la rendre déjà présente aujourd’hui, avec la grâce de Dieu. C’est donc travailler à rendre Jésus présent aujourd’hui. La résurrection sera la victoire finale sur le scandale du mal. Il faut donc lutter contre ce scandale aujourd’hui. C’est ainsi que notre foi en la résurrection nous pousse, selon le commandement de Jésus, à servir concrètement les pauvres aujourd’hui : ils sont une des formes de la présence de Jésus, ils règneront demain avec lui, libérés de leur misère. Il faut les servir dès aujourd’hui pour que cette foi soit autre chose qu’un vain mot. Nous croyons que demain la paix triomphera de toute forme de conflit. Cette foi exige de nous que dès aujourd’hui, nous soyons artisans de paix partout où nous passerons.
La réciproque est également vraie. Nous avons besoin de croire en la résurrection finale pour agir de manière évangélique aujourd’hui. Sans l’espérance de la résurrection finale, l’action humanitaire aujourd’hui est très limitée. Elle se borne à un peu améliorer les conditions de vie. Mais pour un SDF qui a retrouvé un toit, il en reste des centaines dans la rue. L’action humanitaire se heurte aussi à une autre limite : il y a des moments où il n’y a plus rien à faire. Il y a des malades pour lesquels la médecine ne peut plus rien. Notre société ne supporte plus ces situations : pour ces cas-là, elle ne propose que l’euthanasie. Le contrat est : « guérissez-moi tout de suite ou tuez-moi ». Mais si je crois en la résurrection, mon action prend un tout autre sens. Elle devient présence actuelle de la résurrection. Il y a du sens à demeurer à côté d’un mourant, sans rien avoir à offrir que sa présence, parce que nous affirmons que la présence de ce pauvre est celle même du Christ ressuscité. Il y a du sens à parler à ce SDF qui refuse notre aide parce que cette charité gratuite commence la résurrection. Celui qui croit en la résurrection ne peut plus désespérer d’aucune situation, d’aucun homme. Il a toujours quelque chose de signifiant à faire.
VI. Conclusion :
Le royaume est encore à attendre. Car notre espérance n’est pas une petite amélioration de détail de la situation, mais la victoire totale de la charité sur la mort et le péché, par le retour du Christ et la résurrection des morts. Mais cet avenir radieux commence vraiment aujourd’hui chaque fois que Jésus est rendu présent, chaque fois que la charité est vécue. La foi dans le royaume à venir et la conviction qu’il est déjà présent ne s’opposent pas. Elles trouvent leur équilibre dans l’action aujourd’hui, spécialement l’action envers les plus pauvres, qui inaugure véritablement la résurrection et qui trouve tout son sens dans l’attente de cette résurrection.
[1] Ps 92, 1-2.
[2] Ps 95, 10-13.
[3] Ps 97, 6-9.
[4] Dn 2, 32-33.
[5] Dn 2, 34.
[6] Dn 2, 44-45.
[7] Lv 19,2.
[8] Mt 6,10.
[9] Mt 21, 43-44.
[10] Mt 25, 1 sq.
[11] Mt 25, 34.
[12] Ac 1, 6.
[13] 1 Co 15, 22-26.
[14] 2 P 3, 8-14.
[15] Cf. par ex. Mt 24,43.
[16] 1 Jn 4,8.
[17] Karl Marx, Critique de la Philosophie du Droit de Hegel, Introduction, Œuvres III, Philosophie, Gallimard coll. « Pléiade » n° 298, p. 383.
[18] Lc 17, 20-21.
[19] Mt 5, 3.
[20] Mt 19, 14.
[21] Cf. Michel Lee Landa, Le Monde le 19 novembre 1979.
[22] Saint Jean-Paul II, encyclique Evangelium Vitae, 25 mars 1995, § 2.