Seibane, membre du Dorothy, nous raconte les raisons de son émigration vers l’Europe. Il a 26 ans et il est malien. Il est arrivé en France en 2016. Dans le prochain numéro de Manœuvre, il décrira son voyage et son arrivée en France.
La grande majorité des pays Africains souffre d’un appauvrissement général depuis la décolonisation survenue il y a soixante ans. Le continent importe plusieurs produits de première nécessité prolongeant les systèmes d’échanges coloniaux. Les produits locaux restent sous valorisés, étouffant
toutes les possibilités de développement d’une industrie locale. L’Afrique souffre d’autres maux : guerres ethniques, corruption, mauvaise gouvernance. La croissance économique de l’Afrique ne s’accompagne pas d’une réduction effective de la pauvreté. Elle ne génère pas suffisamment emplois durables pour les jeunes. Elle est marquée par une forte inégalité dans le partage des richesses au profit des entreprises multinationales et des élites politiques. Seule une minorité de la population en voit les effets positifs. Cette situation résulte d’une carence de politique économiques adéquates pour prendre à bras le corps ces sujets.
Aujourd’hui l’Afrique dispose d’atouts important et stratégiques comme l’abondance de main œuvre. L’Afrique concentre aujourd’hui 550 millions de personnes en âge de travailler et en 2050 ce chiffre devrait atteindre plus d’un milliard devant la Chine et l’Inde. Près de 70% des jeunes de moins de 25 ans sont sans emploi. Les jeunes qui représentent environ 60% des chômeurs sont désespérés par l’absence totale de perspectives et cela se traduit par l’émigration. Il y a aussi un problème avec la monnaie. Le Franc CFA n’est pas adapté au Mali et à l’Afrique. Il n’est pas dans notre intérêt et il ancre notre dépendance envers l’Europe.
Ainsi après la triste époque de la traite des Noirs, l’Océan Atlantique est devenu un nouveau cimetière pour de nombreux émigrants africains. Le silence coupable de migrants africains sur le drame épouvantable de la migration illégale est inacceptable et condamnable. Les migrants se
retrouvent à faire passer le bien-être et l’amélioration de la situation économique de la famille avant de penser à leur propre cause. En effet la population restée en Afrique considère l’Occident comme une manne financière, ce qui fait que les migrants sont régulièrement sollicités pour couvrir les dépenses quotidiennes de leurs familles. Certains ont des vies inhumaines et en dessous du seuil de pauvreté, afin de subvenir aux besoins de leur familles restées là-bas. Ceux qui ne réussissent pas et
qui veulent rester dignes sont souvent condamnés à rompre le contact. Il n’est surtout pas envisageable pour ces personnes de retourner au pays car revenir les mains vides, sans ressources financière représente une profonde honte. Dès lors, beaucoup d’Africains choisissent d’être malheureux en terre étrangère plutôt que de subir le mépris social au pays.
A l’âge de dix ans, j’avais un projet. Je voulais devenir un grand philosophe, mais le temps n’a pas voulu et les moyens m’ont manqué. Je suis né et j’ai grandi dans une campagne. Il y a beaucoup de campagnes au Mali où il n’y a pas de l’école. D’où je viens, les enfants ne sont malheureusement pas
suivis scolairement par les parents. Ils ne contrôlent pas leurs enfants pour voir s’ils travaillent bien à l’école ou pas. Pour eux, le plus important c’est que les enfants travaillent quand ils n’ont pas école. Il y avait des élèves qui s’en foutaient aussi, ils allaient à l’école comme tout le monde mais à l’école ils n’écoutaient ni le professeur ni ne cherchaient à comprendre les leçons et ne faisaient pas les exercices à la maison. Il y en avait aussi qui travaillaient très bien.
Moi, j’étais parmi ceux qui travaillaient bien à l’école et j’étais même le responsable de notre classe pendant quelques années. Je me souviens qu’une année, je voulais abandonner l’école : cette année- là, mon professeur est allé jusqu’à chez nous pour expliquer à mes parents d’essayer de me convaincre de continuer l’école. Après, mes parents ont essayé de me parler, de me faire comprendre et j’étais d’accord avec eux. J’ai recommencé mes études jusqu’à arriver au CP. Là, j’ai été obligé d’abandonner l’école pour deux raisons : d’abord, mes parents ne voulaient pas que je m’éloigne d’eux et du village. Or l’école était loin et pour la suivre il fallait que je parte. Ensuite, j’aurais eu besoin d’argent si j’avais continué l’école. Or, mes parents ne voulaient pas donné d’argent pour cela. Du coup, j’ai commencé à travailler : pendant l’hivernage (la saison des pluies), je
m’occupais des champs, après l’hivernage, je m’occupais des bêtes et de l’entretien de la maison. Mon grand frère m’aidait dans ces travaux. Puis, mon grand frère a quitté le Mali. Moi aussi, j’ai eu envie de partir à Bamako pour me former professionnellement. Le problème, c’est que pour cela
j’avais besoin de gagner de l’argent et l’argent est en Europe ! Donc, j’ai voulu aller en Europe. Je savais que ça allait être difficile et que le voyage était dangereux mais je n’avais pas le choix. C’est important de comprendre que si tu restes au pays, tu es pauvre et tu es moins bien vu que si tu pars,
on te considère comme un bon à rien et tu seras moins respecté dans la population. Tu resteras toujours un pauvre malheureux dans la communauté.