Saber :  « Je me suis dit que tant mieux pour la planète, elle va enfin respirer. »

Saber : « Je me suis dit que tant mieux pour la planète, elle va enfin respirer. »

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Le confinement, je dirai ça va. Je suis dans une maison à Carrières-sur-Seine. On est deux, je suis chez une amie. Mon amie Claire elle a son coin en bas et moi je suis dans le salon. On a aussi un petit jardin. D’ailleurs ce matin on a coupé les branches d’un arbre qui étaient gênantes. Je fais du jardinage, couper les mauvaises arbres, nettoyage, on aimerait faire un potager, planter quelques légumes, mais comme c’est fermé pour aller chercher des grains on attend.

Quand j’ai appris le confinement j’ai eu peur que ça dure longtemps, et que ça va mal se passer avec Claire qui m’héberge parce qu’on sera obligé de se voir et être là tout le temps. Mais au final ça se passe bien, elle est dans son coin, elle fait de la musique. On se voit que pour partager les repas, donc ça va.
Avant je mangeais à la cantine des Pyrénées le midi, et le soir au restaurant de solidarité de Paris, maintenant c’est nous qui faisons les courses. Au début c’était Claire qui faisait les courses toute seule, ça m’inquiétait de pas pouvoir participer et j’étais gêné.
J’ai pu avoir des appels auprès du Secours Catholique et ils ont décidé de nous livrer un chèque alimentaire de 50 euros chaque 15 jours, la bénévole du Secours Catholique m’a mis en lien avec l’épicerie sociale de Houilles, j’ai eu le droit à 80 % de réduction. Comme ça je peux faire les courses aussi.

De rester à la maison toute la journée, on s’ennuie un petit peu. Je commence juste à prendre des habitudes. La journée je regarde la télé, les infos, internet aussi, je suis connecté sur Facebook, les réseaux sociaux et tout, je regarde des films, je fais la cuisine, un peu de musique. J’essaie d’apprendre à jouer de la guitare, d’apprendre la musique kabyle. J’apprends en regardant des vidéos sur Youtube. C’est difficile. J’espère m’améliorer encore un peu. Il faut que je m’accroche et de jouer plus souvent. C’est tellement difficile que je m’ennuie vite.
J’apprends la chanson d’un chanteur kabyle, Khaloui Lounes. « Je sais que ton joli visage va me manquer… » Bon laisse tomber la traduction, c’est difficile. C’est une chanson d’amour, on va se séparer, et caetera. Mon village s’est bien organisé pour faire face à la maladie. C’est mieux organisé qu’en France car ils sont conscients que l’État ne va pas être là…

J’essaie d’apprendre à jouer de la guitare, d’apprendre la musique kabyle. Il faut que je m’accroche et de jouer plus souvent. C’est tellement difficile que je m’ennuie vite.

J’ai pas un programme spécial, le téléphone m’envahit trop, j’ai plein de groupes Whatsapp, des groupes d’amis, groupe du foot, groupes du village ou bled, je regarde des publications, je passe des coups de fil, je reçois des coups de fil…
D’ailleurs je m’inquiète pour ma famille au bled. Mais sur Facebook j’ai vu que mon village s’est bien organisé pour faire face à la maladie. Ils ont mis des barrages à l’entrée du bled pour que personne ne rentre personne ne sort. Le comité du village a fait une organisation pour que seulement quelques personnes fassent les courses pour le village. Le comité de village c’est chaque famille qui donne deux représentants, dans mon village il y a huit familles et une famille compte 15-20 foyers. Ça fait seize représentants plus le président de tout le village : ensemble on organise, on fait des réunions pour les travaux du village… Ils sont bien organisés pour l’épidémie. Ils ont fait un tour du village pour dire aux personnes de ne pas sortir et ils ont donné un numéro de téléphone à tout le monde, en cas de besoin. Dans mon village tout le monde travaille au noir, donc ils ont décidé de passer voir les familles pour faire une quête, chacun donne ce qu’il peut. Comme ça avec cet argent ils vont faire les courses, fruits, légumes, semoule, pâtes, et les distribuer aux villageois. Pour l’instant ils ont distribué une quantité de 15 à 20 jours. Les gens ne travaillent pas donc ils n’ont pas de ressources.
C’est mieux organisé qu’en France car ils sont conscients que l’État ne va pas être là… On a les manques de moyens, si il y a de la contamination ça va être grave. Donc ils font très attention pour que ça n’arrive pas chez eux. Après avoir vu cette organisation ça m’a rassuré par rapport à ma famille. J’ai un frère pompier qui travaille et ma sœur est pharmacienne, j’ai peur qu’ils ramènent le virus à la maison car j’ai des grands-parents âgés et ma mère a des maladies chroniques et diabétiques elle a de la tension donc ça fait peur. Mais de toute façon mes frères et sœurs ils sont bien placés pour savoir les dangers. Mon frère quand il arrive il enlève ses vêtements, il se lave, il évite de voir mes parents et mes grands-parents. Pour l’instant il n’ y a pas de cas dans mon village (Tazrouts).

En France je crois que c’est mal géré je parle du coté du gouvernement. Par rapport au manque de moyens de tester les gens, manque de masques, de blouses, de lits respiratoires. Dans quelques hôpitaux ils ont fait des choix de soigner celui-là et de laisser tomber celui-là, ça fait mal au coeur de voir tant de morts. Hier il y a eu 588 et malheureusement ça va continuer. Je dirais que c’est mal géré, le gouvernement français a négligé les hôpitaux avant cette épidémie. Apres ils viennent nous faire leurs discours merci et patati et patata, ne pas sortir, aller travailler, contradictions… Ils paient leurs erreurs. Ils font comme ils peuvent.

Je dirais que c’est mal géré, le gouvernement français a négligé les hôpitaux avant cette épidémie. Apres ils viennent nous faire leurs discours merci et patati et patata, ne pas sortir, aller travailler, contradictions…

Ce qui m’énerve c’est les gens qui prennent des stocks dans les supermarchés. Et laisser les rayons vides. Et j’ai vu une vidéo où la police a tabassé une femme car elle voulait pas payer son amende. Ou alors quand M. Lallement qui a déclaré que les gens qui se retrouvent en réanimation sont ceux qui ne respectent pas le confinement. Le gouvernement lui a demandé de s’excuser, et il s’est exécuté… Mais j’ai pensé que c’est la même personne qui donne des ordres aux policiers pour tabasser les manifestants, c’est la même pourriture. Quelques policiers font que leur travail et font face aux gens qui ne respectent pas vraiment leur travail, ça je dis pas…

Ce qui est inquiétant c’est que l’économie va s’effondrer. Les gens qui sont dans la rue ça m’inquiète aussi, d’ailleurs ils ont fait hommage récemment aux morts de la rue, le 31 mars. Et tous les morts qu’on voit et que ça continue. Et aussi le fait que si jamais cette maladie arrive en masse en Algérie ça va faire un carnage. Parce qu’ils ont pas les moyens pour faire face. Et ça m’inquiète pour mon avenir car rien ne va pour le moment, c’est stagné.
Le plus dur c’est de rester à la maison et de voir les infos et de voir les morts partout dans le monde. Il y en a qui disent de pas regarder les infos mais c’est important, il faut suivre l’actualité. À 20h je regarde les infos. Ça fait mal au coeur de voir les gens mourir comme ça en quantité.

Je ne me suis pas vraiment ennuyé, je m’adapte aux situations vite fait.

Au fait je me suis dit que tant mieux pour la planète, elle va enfin respirer, maintenant toutes les usines ne fonctionnent plus, les voitures ne circulent plus.
Mais pour moi rien de positif, je ne vois pas d’avantage à rester chez moi enfermé comme ça. Après de quoi j’ai profité ? À part de me mettre à la guitare je ne vois pas d’autre intérêt.
Ce qui me manque le plus c’est de voir des amis. Le travail aussi, sauf que je travaillais pas énormément. Je travaillais dans la restauration, les déménagements, n’importe où… Juste avant le confinement j’avais une piste pour travailler dans le déménagement. Je vais la recontacter quand on sera déconfiné.
Franchement je ne pense pas à ce que je vais faire quand on sera déconfiné, je vis le jour le jour, le jour où ce sera fini je vais sortir comme d’habitude, direction le 20e arrondissement, voir mes amis, tous les gens, et reprendre la vie normale.

Je ne me suis pas vraiment ennuyé, je m’adapte aux situations vite fait. J’ai eue une petite inquiétude au début. Je savais que ça allait prendre du temps pour se déconfiner mais je me suis vite adapté à la nouvelle vie. J’ai l’espoir qu’on va être déconfiné pour bientôt. Aux infos ils commencent à en parler, le préparer. Et j’espère qu’ils vont trouver un traitement et que ça va y aller.


Portrait réalisé par Clara Lauriot
Témoignage recueilli par Anne Waeles

Marie : « Demain on aura davantage conscience de la liberté et de la beauté de la vie. »

Marie : « Demain on aura davantage conscience de la liberté et de la beauté de la vie. »

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Je suis plutôt quelqu’un qui bouge et qui n’aime pas rester chez elle. Et ce confinement, il faut pouvoir le supporter, s’armer de positivité, se dire qu’on est pas les seuls et le prendre de manière très sérieuse. Car ce qui est en jeu c’est notre santé, la dégradation, voire la mort.

Au début de l’épidémie je ne me suis pas affolée, mais quand ça m’est tombé dessus, là j’ai bien compris. Fin février on en parlait déjà avec des amis, on plaisantait, « faut pas qu’on se fasse la bise », on ne le faisait pas mais on le prenait à la légère, « cet aprèm j’ai pris ma température », « ah moi aussi », on riait et puis on continuait. J’ai tout de suite été assez prudente, je commençais à me méfier mais sans plus. J’ai été à la montagne du 8 au 16 mars avec des amis, on en a pas du tout parlé, je me suis baladée, j’ai même pu faire du piano dans un chalet un peu plus loin. Mais une amie toussait beaucoup, l’idée m’a frôlée que c’était peut-être le virus. La veille du confinement j’étais dans les rues de Grenoble, j’avais mis un foulard autour du nez, mais plein de jeunes étaient ensemble, pas du tout conscients des risques.

De retour à Paris le lundi, comme j’étais fatiguée ça m’a pas dérangée de rester chez moi. Jusqu’au dimanche dans la nuit, où j’ai été en grande détresse respiratoire. J’ai appelé le 15 qui m’a envoyé une ambulance, l’attente était terrible, puis j’ai été aux urgences et hospitalisée pendant trois jours. Cela fait douze jours que je suis rentrée chez moi, depuis le 25 mars, jour de l’anniversaire de ma mère. Grâce à Dieu j’ai été épargnée. Mais après ça, on est encore plus fragile psychologiquement, se retrouver dans une chambre d’hôpital toute seule… le personnel qui jetait son tablier dans la poubelle en sortant de ma chambre… c’était affreux. Et puis maintenant je suis seule ici, avec mes souvenirs de l’hôpital. Mais bon il faut positiver et se dire que des gens sont plus malheureux que moi. Mais c’est une période pas facile. 

Le personnel qui jetait son tablier dans la poubelle en sortant de ma chambre… c’était affreux. Et puis maintenant je suis seule ici, avec mes souvenirs de l’hôpital.

Je vis dans un appartement en angle qui a cinq fenêtres, il est lumineux, j’ai fait faire des travaux, je m’y sens bien.  J’ai pas envie de faire de piano alors que j’en ai deux chez moi, pas envie d’écouter de musique non plus, je me sens pas suffisamment libre dans ma tête, pourtant j’aime ça. Je suis stressée, pas tranquille. J’ai du mal à me concentrer pour lire un bouquin, du coup je lis des magazines, des articles scientifiques sur le coronavirus et sur d’autres choses. Je me fais un peu de cuisine, de la pâtisserie J’écoute la radio, des choses un peu légères. Je m’informe par la télé, BFM TV, beaucoup d’interviews, de journaux, des tables rondes, on ne parle que de ça. Mais trop d’info tue l’info, on est envahis, c’est très anxiogène. Heureusement qu’il y a des chaines de culture gé et des docus. Là je regarde sur la 5 une émission « Les 100 lieux à voir ». Les journaux me manquent aussi, la presse à côté de chez moi est fermée.

Depuis trois jours je fais des mouvements de qi gong, des massages du visage et de la tête, de la relaxation, c’est bon pour les défenses immunitaires. Après je vaque à droite à gauche, sans être concentrée sur une chose, j’ouvre ma fenêtre qui donne à l’ouest, je me mets au soleil, c’est assez léger comme vie. J’essaye de pas trop ruminer et puis d’appeler les amis même si beaucoup sont en télétravail, je ne peux pas les déranger tout le temps. Le soir parfois des amis appellent. 

Je vaque à droite à gauche, sans être concentrée sur une chose, j’ouvre ma fenêtre qui donne à l’ouest, je me mets au soleil, c’est assez léger comme vie.

Le coté positif de ce confinement c’est que ça permet de se concentrer sur soi, de faire le point, de faire les choses qu’on a pas le temps de faire, qu’on aime faire chez soi, qu’on fait pas forcément quand on est libre. J’ai commencé à nettoyer mon appartement mais je ferai au fur et à mesure en fonction de mon état de santé et de mon énergie. J’en ai pas toujours, ça dépend du moment de la journée, parfois je suis très fatiguée le matin, c’est fluctuant. Si on vit le confinement de manière sereine, même si on manque de liberté, on a le choix du repos. Ce qui est aussi positif c’est que quand ça finira, on pourra réaliser les projets qu’on formule maintenant. J’ai envie de partir en Russie, j’essaye de regarder les différentes possibilités pour y aller.
La liberté de sortir c’est ce qui me manque le plus, faire ce que j’ai envie de faire, aller au ciné, aller me balader, aller à l’église, suivre la messe avec les autres paroissiens. J’ai vu la newsletter de Notre-Dame de la Croix de Ménilmontant, pour suivre la semaine sainte, j’ai commencé à la suivre. Le sport aquatique me manque, les concerts de musique de jazz… vivre quoi, normalement. Chez soi tout le temps c’est très dur. Et puis voir mes amis à l’extérieur. Vivre, vivre, là c’est une parenthèse difficile et le plus dur pour moi, mais tout le monde est pareil, c’est de pas savoir quand ça va finir. 

Quand ce sera fini, j’irai remercier Dieu de m’avoir sortie d’affaire en allant faire une petite prière à l’église. J’irai me trouver un film qui me plait à aller voir au ciné.

En même temps on prend conscience qu’on a de la chance de vivre dans un monde qui offre malgré tout beaucoup de choses positives. La vie est quand même belle, le fait de retrouver la liberté, c’est précieux. La vie est précieuse. Demain on sera peut-être plus positif avec les autres. Je remarque autour de moi, il y a une énorme solidarité entre les gens, je le sens à 20H quand on applaudit le personnel médical et tous les gens qui doivent travailler pour le bien-être des autres. On profitera encore plus de la vie après le confinement, de tout ce que la vie nous offre, on aura eu de la chance de s’en sortir, on aura davantage conscience de la liberté et de la beauté de la vie. 

Quand ce sera fini, j’irai remercier Dieu de m’avoir sortie d’affaire en allant faire une petite prière à l’église. J’irai me trouver un film qui me plait à aller voir au ciné. Puis retrouver mes habitudes passées, faire de l’aquagym, aller à un concert, enfin faire tout ce que j’ai pas pu faire. J’ai juste hâte que ça se termine. 


Portrait réalisé par Camille Oardă
Témoignage recueilli par Constance Gros

Hadiétou : « Quand tu es seul, l’imagination, ça vient. »

Hadiétou : « Quand tu es seul, l’imagination, ça vient. »

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Je peux pas sortir, j’ai peur de sortir, à cause de ma situation personnelle, je suis sans-papiers, si je sors je ne veux pas croiser les policiers. Donc je reste chez moi. Quand je sors je ne fais pas l’attestation parce que je pense que ça va bien passer. Mais c’est pas tous les jours que je sors.

C’est la première fois que ça m’arrive de rester comme ça à la maison. C’est pour nous protéger de la maladie. Le gouvernement il a bien fait d’un côté. Mais les conditions chez moi c’est un peu dur. Je vis avec mon oncle et mon frère dans une même chambre. Mais on s’entend bien. Je ne suis jamais resté seul, j’ai toujours vécu avec des gens.
C’est une chambre de 6 m2 avec cuisine, toilettes, tout ça. Exactement comme Seibane mais le bâtiment B !

Ça me rappelle quand j’étais en Libye, j’ai été en prison un mois et demi. On était au foyer, brusquement les militaires ont chopé et embarqué plus de soixante dix personnes et nous ont mis en prison. Arrivés en prison ils ont menti en disant qu’ils nous ont trouvé avec des femmes, et qu’on faisait affaire de drogue par la Méditerranée. Personne ne pouvait sortir de la prison sans avoir donné de l’argent. Après un mois et demi j’ai payé la somme d’argent et ils m’ont libéré.
Quand j’étais en prison, pendant plus d’un mois je suis pas sorti, je ne voyais pas le ciel. C’était pire. J’ai appris beaucoup de choses, ce qu’est la liberté. En confinement c’est différent, tu peux parler avec les amis, échanger des idées, tu peux aller acheter quelque chose pour manger, et aller te balader un peu à côté de chez toi.

Quand j’étais en prison, pendant plus d’un mois je suis pas sorti, je ne voyais pas le ciel. C’était pire.

Avant je travaillais dans le bâtiment, on casse, on construit des maisons, c’est travail physique. Ça manque le travail. Depuis que je suis petit j’ai fait que le travail. J’aime bien le travail, et si on travaille pas on gagne pas d’argent. Le travail c’est la première chose. Si je suis fatigué je peux prendre du repos mais ce que je veux c’est travailler.
Là financièrement c’est un peu dur, j’ai mis un peu de côté, c’est ça que je suis en train de manger maintenant. Je pense que mes réserves vont finir avant le confinement. On a encore deux semaines. On ne sait pas si ça va se prolonger. J’espère que dans deux semaine ça va aller inch’Allah.

Je me couche plus tard, à 1h ou 2h du matin, et je me lève à 10h. Parce que je cause avec mon frère. Mon oncle est parti au pays. Donc on a les libertés dans les chambres. Quand mon oncle est là on peut pas faire ce que l’on veut. Il y a beaucoup de jeunes qui viennent pour discuter, on fait du thé, du café, on discute. On s’entend bien. Je me lève, je prends ma douche, après je vais voir Seibane, on discute pendant qu’il fait la cuisine, on mange. Après on va au troisième étage discuter avec le cousin de Seibane, on va discuter jusqu’à 22h. Après on descend au deuxième étage voir un ami, on va discuter jusqu’à 23h. Après on va quitter là-bas et on va discuter chez moi. Que des discussions… Les sujets c’est beaucoup, on discute du confinement, on dit ce que tu as envie de faire, on discute des choses du pays… On fait tous les discours qu’on a dans la tête. Il y en a qui parlent de politique, est-ce que le confinement c’est bien, ou pas, moi je peux pas dire, la politique ça m’intéresse pas. Les informations je n’écoute pas du tout. Les autres du foyer peuvent me dire, moi personnellement je me concentre pas pour avoir les informations.

Il y en a qui parlent de politique, est-ce que le confinement c’est bien, ou pas, moi je peux pas dire, la politique ça m’intéresse pas.

Quand on applaudit c’est important, j’aime bien que les gens le fassent, mais moi je le fais pas. Je préfère écouter les autres. Je sais pas pourquoi j’ai pas envie, je préfère écouter. Ça fait du plaisir franchement !

Depuis que je suis en France je ne suis jamais resté une journée à la maison. Et là le confinement on le fait chaque jour. C’est très dur. Les amis me manquent, surtout. Le bon café me manque, on a que du Nespresso. La nature me manque aussi, quand tu sors tu vois des arbres, là tu vois rien, c’est dur. Depuis ma fenêtre on voit que des bâtiments. Le sport me manque aussi, le karaté, la course. J’y allais deux fois par semaine. Mais je fais les pompes chaque matin, 50 ou 100. C’est la première chose que je fais. Mais d’abord je prie à 6h.

Je voulais envoyer de l’argent à ma famille au Mali mais je peux pas. Chaque année je le fais avant le Ramadan, je prépare quelque chose pour ma famille. Là comme je travaille pas c’est compliqué. Ce que j’ai ce sera pas suffisant pour eux et pour moi. Mais je vais le faire quand même.
La première chose que je vais faire après le confinement, c’est qu’ils m’appellent pour travailler, ou je les appelle. Et après je vais envoyer de l’argent à ma famille. Le reste c’est pas nécessaire. Dans la vie on ne peut pas faire tout ce qu’on veut.

Je voulais envoyer de l’argent à ma famille au Mali mais je peux pas. Ce que j’ai ce sera pas suffisant pour eux et pour moi.

Mon corps il est fatigué à cause de rester à la maison. Parfois je me couche et je peux pas dormir avant longtemps. Je pense à ma famille, je repense à toutes les situations que j’ai vécues jusqu’ici, étape par étape. C’est dur. Depuis le pays jusqu’à ici. J’ai quitté le Mali en 2012, j’ai fait sept mois en Algérie, deux ans et demi en Libye, trois ans et demi en Italie. Depuis bientôt trois ans je suis en France. J’ai vécu beaucoup de choses. Dans le confinement j’y pense plus parce que j’ai pas grand-chose à faire. Quand on est au travail ou avec les amis il y a beaucoup de choses qui passent. Quand tu es seul l’imagination ça vient. Depuis le Mali, depuis que j’ai mis le pied dans la voiture jusqu’ici, il y a eu beaucoup de moments difficiles, beaucoup de conséquences, beaucoup de fatigue.
J’aimerais bien que tout ça finisse le plus vite possible. Tout le monde me manque, je passe le salut pour tous les amis !


Portrait réalisé par Aloïs Marignane
Témoignage recueilli par Anne Waeles

Christian : “Si ça se passe bien pour moi, c’est grâce à la musique.”

Christian : “Si ça se passe bien pour moi, c’est grâce à la musique.”

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Le confinement se passe très bien dans un sens, je suis habitué à vivre tout seul, mais c’est frustrant de pas aller voir des gens, de pas aller dans les cafés et les restaurants que j’aime bien.

Les seuls échanges que j’ai c’est avec les commerçants ou ceux que je croise dans le quartier. J’ai croisé un habitué de l’association Autremonde, c’est des petits échanges rapides, « ça va, ça va » mais il ne faut pas aller trop loin. Avant le confinement, je voulais arrêter presque tout ce que je faisais côté musique avec des assos, mais là je me rends compte que ça me manque, le lien, le contact, le Dorothy me manque beaucoup, le Carillon me manque, c’est à double tranchant, et c’est pas évident de prendre la décision d’arrêter des choses maintenant.

Au début comme d’habitude, et malgré mon expérience de la vie, j’ai pas réalisé pour le confinement. A ce moment-là j’avais d’autres problèmes perso importants donc j’ai pas réalisé, j’ai pas compris, ou vaguement compris. J’ai entendu des rumeurs, j’ai entendu dire que des gens évitaient les personnes asiatiques, puis des copains m’ont expliqué encore vaguement mais j’ai pas réalisé. La prise de conscience ça a été le départ de Paris de certaines personnes des associations, les restos, bars et théâtres qui ont fermé dans la nuit de samedi, déjà vendredi midi un restaurateur solidaire m’avait dit qu’il fermait mais je pensais que ce serait une exception. Puis j’ai compris que c’était important, que ça pouvait durer longtemps, j’étais très frustré. Mais oui j’ai été un peu insouciant, inconscient.

Au début comme d’habitude, et malgré mon expérience de la vie, j’ai pas réalisé pour le confinement.

Chez moi, c’est un petit 3 pièces ou un grand 2 pièces, 43m2, c’est l’ancien appartement de mes parents, payé à l’époque par ma grand-mère qui pensait déjà à moi en l’achetant, trois ans avant que je naisse. Les gens peuvent se dire que c’est grand, mais c’est très rempli. Il y a la pièce de ma mère avec un lit, la pièce du milieu avec un placard, des vêtements, des cartes de restaurants où je vais, et ma chambre où je dors sur un lit où pour le coup il n’y a presque rien. Pour manger j’avais une table qui se montait et se baissait, mais elle s’est bloquée en bas donc je n’ai plus trop de place pour manger, soit je mange par terre, soit sur un petit rebord à coté de ma plaque de cuisson, ça fait partie du coté folklo ! J’ai une télé, un magnétoscope, deux lecteurs DVD dont un Blue-ray, j’ai un micro-ondes dont je sais bien me servir, il y a aussi une grande table mais tout est rempli, il y a des disques, des papiers, des DVD, des VHS, les revues qui vont avec, de gros classeurs… Heureusement il y a des planches pour faire un rangement en hauteur. Il y a deux balcons tout-petits dont je me sers pas vraiment. J’ai une bibliothèque de ma grand-mère avec des objets d’autrefois auxquels je tiens beaucoup. J’ai vendu plein de choses mais j’ai gardé que des objets sentimentaux.

Dans mes journées je suis complètement décalé. Je dors pas beaucoup la nuit et je me réveille souvent vers 4 ou 5h. Je regarde la chaine 17 où ils repassent en boucle les informations, ou BFM TV, pour savoir si ça s’aggrave. J’alterne les deux chaines. C’est comme ça que j’ai appris que l’attestation allait être remplacée par le portable, moi j’en ai pas mais je le ferai sur papier. J’achète jamais de journal et c’est la 1ère fois que je regarde les infos comme ça, avec importance, pour donner des renseignements aux gens, même si j’ai pas de portable. Après je m’arrange pour faire les courses et être le premier ou un des premiers dans le magasin, je refuse de faire la queue. Je vais au supermarché tôt et pendant les heures creuses mais ça m’arrive aussi d’aller chez des fromagers, même si c’est cher, c’est des petits plaisirs. Mon repas du midi c’est entre 9h et 10H et mon diner vers 16-17H. Ce qui est bien avec mon rythme c’est que je peux me recoucher un peu dans la matinée.

Je m’arrange pour faire les courses et être le premier ou un des premiers dans le magasin, je refuse de faire la queue.

Si ça se passe bien pour moi c’est grâce à la musique que j’écoute beaucoup. J’essaye de changer, de pas m’abrutir, de varier les styles de texte, en français et en anglais. Par exemple aujourd’hui j’ai écouté Hubert-Félix Thiéfaine, j’ai écouté -M- même si je suis pas fan à 100%, j’ai du mal à rentrer dedans. J’essaye de me forcer à écouter des choses que j’avais achetées et que je voulais découvrir ou redécouvrir. Je réécoute David Bowie que j’adore, Yves Simon aussi qui est dans le style de Maxime Le Forestier mais en mieux avec plus de bonnes chansons et de disques aboutis, c’est vraiment très agréable. J’écoute un peu Dadju, c’est le petit frère de Maître Gim’s, il a fait deux albums, un que j’aime et l’autre beaucoup moins. Ce que je découvre aussi c’est des disques des gens des Victoires de la Musique et notamment des femmes : Maëlle, Pomme, Aloïse Sauvage, Léa Paci… ça détend c’est assez doux, pas trop violent. Sinon je regarde le DVD des Enfoirés et plus rarement je regarde des films, un tous les trois jours je dirais.

En ce moment je suis plutôt fatigué et comme mon risque de diabète a baissé, je vais moins marcher. Avant je marchais beaucoup la nuit pour faire de l’exercice et croiser personne. Je me couche tôt, les heures avant minuit sont très récupératrices donc j’ai pas besoin de dormir beaucoup ensuite. Je m’ennuie, mais c’est pas horrible, comme j’ai l’habitude d’être seul ; j’ai tellement de choses à voir écouter, ça pourrait durer longtemps, mais au bout d’un moment ça devient frustrant, en plus il fait de plus en plus beau. Je ressens de la fatigue psychologique mais je vieillis un peu et c’est le début de printemps, c’est un moment où plein de gens sont fatigués physiquement. J’ai aussi fait quelques petites crises de nerfs, je pense que c’est un peu alimenté par la situation.

C’est un peu le hasard d’avoir du temps pour ça, c’est un peu comme une retraite spirituelle, mais sans la religion, ou très peu.

Ce qui est le plus difficile pour moi c’est de ne pas pouvoir revoir une jeune femme que j’aime beaucoup, en plus j’ai des choses à la fois méchantes (seulement 10%) et gentilles à lui dire, ça me ferait beaucoup de bien. Je l’appelle une à deux fois par semaine, elle me manque énormément. Ce qui est dur aussi c’est de ne pas voir certaines personnes, le manque de contact humain. Les chansons du dimanche que je fais au Dorothy me manquent aussi, ça fait déjà cinq semaines, et aujourd’hui ça aurait dû être le repas partagé du dimanche. Il y a aussi les concerts, qui me manquent, j’ai hâte d’y retourner.

Après ce qui est sympa dans le confinement, c’est que beaucoup de gens m’ont appelé pour prendre des nouvelles, le Dorothy en première position pour le nombre de personnes, je pense pas qu’on m’aurait appelé autant avant. Sinon pas mal de gens de l’immeuble sont partis, il n’y pas grand monde dans les rues, c’est pas plus mal on se croirait un peu au mois d’août, je me sens plus libre dans l’immeuble et dans le quartier. Ce confinement ça tombe vraiment dans une période spéciale pour moi, j’ai envie de tout arrêter avec les scènes que je faisais dans les assos. L’avantage c’est que ça me permet d’essayer de prendre du recul, de méditer, réfléchir tranquillement. C’est un peu le hasard d’avoir du temps pour ça, c’est un peu comme une retraite spirituelle, mais sans la religion, ou très peu. Là je suis un peu obligé, je l’aurais fait de manière différente, mais ça peut changer ma vie, il faut que je choisisse, le hasard peut bien faire les choses.

La première chose que je voudrais faire après le confinement c’est courir après la jeune femme dont je parlais.

La première chose que je voudrais faire après le confinement c’est courir après la jeune femme dont je parlais, revoir certaines personnes que j’aime bien un peu partout, essayer de bien sélectionner ceux que je veux voir, retourner dans certains restos et bars où je connais du monde, voir si je continue la scène un peu ou très peu, mais surtout revoir les gens que j’aime. Je pense aux gens du Dorothy qui m’ont permis d’évoluer dans la religion et la spiritualité pendant mon année 2019, je pense surtout à Thérèse pour sa grande gentillesse désintéressée. Ah si, il y a aussi le concert du groupe YES le 21 mai à l’Olympia, j’espère que j’y serai !

Playlist bonus :
Let’s dance https://www.youtube.com/watch?v=VbD_kBJc_gI
La bonne nouvelle https://www.youtube.com/watch?v=4a7JN7TWG_U
A nos héros du quotidien https://www.youtube.com/watch?v=fVuCviFkqNw


Portrait réalisé par Bertille Mennesson
Témoignage recueilli par Constance Gros

Wakary : « J’ai la petite grignotte. Tchak tchak. Ça fait du bien. »

Wakary : « J’ai la petite grignotte. Tchak tchak. Ça fait du bien. »

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Le confinement ? Je dors je mange. 

Depuis le premier jour, je suis chez moi, j’ai ma petite chambre. On a aussi une salle dans le foyer et une terrasse. Je sors parfois pour prendre le soleil sur la terrasse. On peut discuter avec les voisins, quand ils viennent. On discute pas trop : « Bonjour, bonjour… Y’a ça, y’a ça… Je vais aller là bas… Y’a ça là-bas… » Mais il faut laisser un mètre de distance et se laver les mains. Quand tu sors aussi il faut nettoyer les mains. Ce qui m’inquiète c’est les gens qui rentrent dans l’immeuble par la grande porte, les gens peuvent ramener le virus, chaque fois j’y pense. Si je sors, quand je rentre chaque fois je lave les mains sinon ça va pas.
Le confinement c’est un isolement, mais il faut faire on n’a pas le choix. Le truc il peut passer après on va ressortir. 

Par rapport à mon travail je pense que les patrons doivent faire le chômage partiel, normalement ils doivent le faire. Depuis qu’on est arrêtés j’ai pas le contact avec eux. J’attends qu’ils me paient le 10 avril, si ils le font pas je prendrais le contact avec eux. Je suis inquiet un peu.

Je fais tout, les pompes, je cours, je fais le karaté aussi. Ce qui est bien c’est que je peux aller au canal de l’Ourcq. Je vois des gens qui ont jamais fait du sport dans leur vie, et ça c’est bien.

Dans ma journée je fais beaucoup de choses. Le matin je sors, je fais beaucoup de sport. Je fais tout, les pompes, je cours, je fais le karaté aussi. Ce qui est bien c’est que je peux aller au canal de l’Ourcq. Je vois des gens qui ont jamais fait du sport dans leur vie, et ça c’est bien. Je vois comment ils courent, on voit qu’ils n’ont jamais fait de sport. Je les regarde et parfois je rigole. Une fois je faisais le karaté et il y en a un qui essayait de faire aussi, je lui ai dit : « tu vas te casser la gueule ».

Après le sport je rentre, je regarde la télé, je lis un peu, j’essaie d’écrire un peu pour me rappeler. J’ai jamais été à l’école et avec le travail j’avais plus le temps d’aller en cours. Donc je profite de me souvenir des verbes pour écrire, pour que je puisse apprendre. Mais parfois j’ai pas le moral d’apprendre tout seul. Je prends mes cahiers, le livre, je sors dans la grande salle et j’ai pas le courage de les ouvrir. C’est un peu pareil tous les jours. Je prends le bouquin, parfois je lis trois phrases et après j’ai plus le moral je laisser tomber. Je vais sur mon téléphone passer le temps et regarder les vidéos rigolotes, ou je regarde des films, ou BFM TV.
Quand je lis c’est intéressant, surtout si je peux lire à quelqu’un, au téléphone. Là j’ai plus le courage de lire. C’est une histoire de taxi. C’est bien, ça me plait. Si j’avais les moyens, je ferais les cours de français tous les jours ce serait plus intéressant.

Je prends le bouquin, parfois je lis trois phrases et après j’ai plus le moral je laisser tomber.

Là je sors sur la terrasse pour applaudir. Tous les soirs je le fais. J’aime bien. Je sais que c’est important le travail qu’ils font, c’est vraiment bien. Nous, dans le 19e, on commence à applaudir cinq minutes avant. Les voisins se saluent sur les balcons, peut-être qu’ils ne se parlaient pas avant, ça peut créer du lien aussi. 

Ce qui est le plus difficile pour moi c’est que je n’ai pas l’habitude de rester. C’est dur de pas aller travailler. Et je peux pas dormir la journée. 
D’habitude je travaille dans le bâtiment, je suis coffreur-boiseur, dans le gros œuvre. J’aime bien, c’est un peu physique, mais je sais que quand on est jeune il faut travailler même si c’est dur. Je faisais beaucoup du bénévolat aussi. Avec la croix-rouge je fais les maraudes. Là on m’a appelé la semaine passée, ils vont commencer à faire dans la journée, je vais voir si je peux aller. C’est pour aller donner à manger pour les gens qui sont dans le besoin et discuter avec eux, si ils vont bien ou quoi. De faire ça le temps du confinement ça me ferait un peu de bien.

D’habitude je rentre tard le soir du travail, et je me lève tôt. Je travaille loin, je rentre à 18h-19h30 et je me lève à 5h. Il faut une heure et demi pour aller au travail, parfois même ça dépasse ça. Il faut prendre le train, le bus, et aller encore marcher. Le temps est trop serré j’ai pas le temps de sortir, sauf le week-end, je vais voir des amis ou mon frère. 
Mais là je dors pas plus. Si je dors à deux heures du matin je me lève à 6h, je peux pas dormir plus. Je suis habitué comme ça. Quand je me réveille je me sens mal, je reste sur mon lit. Je ne dors plus. Je m’ennuie, forcément. Ça fait mal. C’est pas facile. Tu peux rentrer chez toi tu sais pas quoi faire, et voilà. Après c’est compliqué.

D’habitude je travaille dans le bâtiment, je suis coffreur-boiseur, dans le gros œuvre. J’aime bien, c’est un peu physique, mais je sais que quand on est jeune il faut travailler même si c’est dur.

Ce que je pense c’est qu’il faut respecter le confinement, on voit le nombre de morts qui monte tous les jours, c’est catastrophe, c’est incroyable. C’est pas un truc rigolo, il faut apprendre à respecter les consignes. Au Mali il y a des malades aussi. Là-bas ça m’inquiète, car c’est pas la même chose qu’ici. Ici il y a des moyens pour soigner et des hôpitaux. Dans mon village il n’y a pas d’hôpital. Si ça arrive là-bas ça va être compliqué. Et les gens peuvent pas respecter les consignes. Dans les taxis et les supermarchés les gens se collent et sont obligés de sortir. Et là-bas tu peux pas rester et l’État va te payer, les gens ont besoin de sortir nourrir leur famille.

On a pas de solution pour l’instant et ça ça m’inquiète, et j’espère que ça va finir vite, mais dans la vie il faut être patient. Moi je veux que demain ils disent c’est terminé, tout le monde est dehors, tout le monde reprend le travail. La première chose que je veux faire c’est tac au travail, après le travail tac voir des amis. Et là je serais très heureux quoi.

Quand je vais au travail, à midi je bouffe beaucoup, et le soir quand je rentre je bouffe beaucoup. Là je peux faire toute la journée sans manger, jusqu’à 17 h. J’ai la petite grignotte. Tchak tchak. Ça fait du bien.
Le temps, ça vient, ça passe. Je rentre, je sors sur la terrasse, je prends la pomme, tac, je rentre, je sors, je prends le biscuit, je prends la banane, je mange. Rentrer, sortir, et tu n’as plus faim. Je sors pas les mains vides. Un peu la télé, un peu la grignotte, je passe le temps comme ça.
Et parfois le téléphone, forcément, avec ça c’est rassurant quand même !


Portrait réalisé par Camille Chevrillon 
Témoignage recueilli par Anne Waeles

Seibane : « Je n’ai jamais été puni comme ça. »

Seibane : « Je n’ai jamais été puni comme ça. »

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Je n’ai jamais été puni de ma vie comme ça. C’est très dur. On n’a pas le choix. Plus de deux jours chez moi sans sortir, je n’ai jamais fait ça.

On vit dans une petite chambre, avec mon père et mon frère, c’est comme une cellule. Trois personnes pour 6 m2. Il y a un seul lit, pour mon père. Au coucher on met les matelas avec mon frère et on dort par terre. Il y a aussi une petite cuisine et une petite salle de bain. Malgré le confinement les gens viennent toujours chez nous.
Depuis le confinement je me lève pas le matin, je reste dans mon lit, même si je suis réveillé. Je me réveille vers midi souvent. Avant je me levais vers 6, 7h. Ensuite je cuisine, jusqu’à 15, 16h. On mange avec mon père (mais lui il mange à midi en général), mon frère et les gens qui viennent. La vaisselle, puis je monte au troisième voir mon cousin, on discute jusque 21h.

Depuis plusieurs jours je ne suis pas sorti du tout. Respecter le règlement, c’est différent de la peur. S’il y a un contrôle de police alors que j’ai pas les papiers… Je ne suis pas régularisé. C’est mon père qui fait les courses, alors que d’habitude c’est moi. Je peux prendre un peu l’air quelques minutes dans la cour, après je retourne dans ma cellule. On ne peut pas rester très longtemps sinon on dérange les immeubles autour.

Quand Macron a annoncé le confinement ça m’a pas étonné. Depuis que le corona est en France j’ai arrêté d’aller dans les lieux publics, en cours, à la mosquée… J’étais confiné avant que l’État s’engage. Les autres au foyer me calculaient pas, ils disaient que j’avais peur. Quand je sortais je respectais les consignes, ils disaient que j’avais peur. Ils ont pas compris. C’était de faire ce qu’on nous a demandé aussi, se protéger soi et autrui !

On vit dans une petite chambre, avec mon père et mon frère, c’est comme une cellule. Trois personnes pour 6 m2.

Après le confinement j’espère qu’on va faire une grande fête. Ça fait longtemps qu’on n’a pas fêté, depuis l’anniversaire d’Anne. Ce qui me manque le plus c’est la liberté. Avant je volais ! J’allais où je voulais. Je marchais beaucoup. Je ne prends presque jamais les transports parce que j’aime marcher… Je peux faire jusqu’à deux heures de marche pour aller quelque part, si je ne suis pas pressé.
Ça me manque d’aller voir mes amis, discuter, faire la fête, danser. Tu ne peux pas danser si tu dois rester à 2 mètres d’écart ! Si on n’est pas confiné on ne peut pas savoir ce qu’est la liberté. Une autre chose que je ne peux plus faire, c’est appeler ma mère car j’ai pas le crédit. Le Dorothy me manque aussi, les amis, là-bas tu peux voir toujours des nouvelles personnes, le lapin aussi me manque.

Je m’ennuie pas, pas forcément. Si y’avait pas la maladie, c’est une expérience positive car je n’ai jamais vu de ma vie Paris si vide comme ça. Déjà avant je ne travaillais pas, c’était juste voir les amis, cuisiner, faire les courses, aller voir la famille… À part la cuisine je n’ai plus besoin de faire tout ça. Je suis plus indépendant ! Je peux dormir plus comme ça… On rigole.
L’ambiance au foyer n’a pas changé. Mais la grande inquiétude c’est de ne pas travailler. Une personne sur dix continue à travailler : ceux qui font les poubelles et les ménages. Les autres ils ne travaillent plus, ils travaillaient dans le bâtiment, dans les travaux publics. Il y en a qui pensent que le corona c’est une invention. Et on débat. On parle parfois de la maladie, de l’actualité, on discute des choses qu’on ne peut plus faire, on raconte ce qui se passe dehors quand quelqu’un sort, et ceux qui vont au travail racontent aussi ce qu’ils voient.

Depuis que le corona est en France j’ai arrêté d’aller dans les lieux publics, en cours, à la mosquée… J’étais confiné avant que l’État s’engage.

C’est bien quand on est tout seul, tu réfléchis beaucoup mais avec du monde tu peux pas réfléchir comme quelqu’un qui est seul. Chez nous il n’y a jamais de silence, c’est le tabou !!! Il y a tout le temps des gens qui parlent : les gens qui viennent parler avec mon père, moi je parle avec mon frère, ou c’est le téléphone.

En ce moment c’est le marché des écrivains et des artistes, tout le monde écrit ses pensées, ses inspirations. Les écrivains et les artistes, ils ont toujours l’inspiration, tout les inspire, par exemple cette situation, si tu es écrivain, philosophe, ou encore artiste ça t’inspire, car tu vois comment les gens se comportent, comment ils font, comment tu dépends de beaucoup de choses. Tout ça est inspirant. Ils ont de la chance. Même si ils sont allongés, ils sont inspirés ! Je peux le faire aussi un peu mais il faut le décider. Je réfléchis un peu mais je peux pas aller plus loin… Je ne suis pas philosophe, encore moins artiste.

En ce moment c’est le marché des écrivains et des artistes, tout le monde écrit ses pensées, ses inspirations.

Les autres au foyer ils se moquent de moi, ils disent que je parle comme un philosophe. Je vois dans un contexte global, je vois plus loin. Je leur dis que je suis pas un philosophe mais ils disent que je parle comme un philosophe.
Ce que disent les philosophes, moi de mon côté ce que je dis, et ce qu’on dit avec les gens au foyer, c’est très différent. Chacun dit ce qu’il a dans sa petite tête, on peut faire trente minutes sur un seul débat. On regarde la tv : on entend des nouvelles, on est tout ouïe. Tout le monde parle du «connard-virus ». Les humoristes maliens aussi, ils font des blagues. Chacun dit ce qu’il pense. On est comme noyé dans l’eau, parce que chacun dit ses pensées, tu ne sais pas où tu te trouves…

Je suis inquiet pour moi, les proches, et les autres qui sont malades. Je prie pour eux même si je les connais pas. Il faut être solidaire. Ce que je préfère c’est quand on applaudit les soignants, à 20h ! C’est une belle solidarité. Ça c’est vraiment beau ! Elle est belle la vie. Elle est difficile, mais elle est belle. Et toi, quand même, tu t’en sors bien avec le confinement !


Portrait réalisé par Jeanne de Guillebon
Témoignage recueilli par Anne Waeles