Le dialogue entre chrétiens et marxistes, avec Michael Löwy

Le dialogue entre chrétiens et marxistes, avec Michael Löwy

Dès la première année de son pontificat, le pape François initiait un dialogue inédit, très peu connu en France, dit DIALOP entre des catholiques – notamment issus du Mouvement des Focolari – et des militants politiques de différents pays européens qui ancrent leur engagement dans la pensée marxiste. Ce processus, qui fête aujourd’hui ses dix ans d’existence, a mené à des prises de position communes, chose inenvisageable il y en a encore quelques décennies. Tout au long du XXe siècle, en effet, chrétiens – catholiques en particulier – et marxistes se sont affrontés, les premiers réduisant le marxisme à sa dimension matérialiste et athée, les seconds réduisant la pensée de Marx et Engels sur la religion à la formule souvent mal comprise d’ « opium du peuple ».

Aujourd’hui, le contexte a changé. Voilà par exemple ce qu’a déclaré l’Autrichien Walter Baier, le président du Parti de la gauche européenne et l’un des acteurs les plus impliqués dans DIALOP : « Je pense qu’avec l’élection du Pape François, la situation a complètement changé, de manière substantielle. Non seulement pour l’Église catholique, mais aussi pour toutes les forces philosophiques et culturelles qui s’opposent au néolibéralisme. Car ce que le pape enseigne est – je dirais – une manière de s’unir, qui s’oppose au consumérisme individuel. Cela place le pape et les milieux de l’Église qui le suivent dans une position proche de celle de la gauche, qui cherche à mettre l’accent sur des valeurs collectives communes. » Sans être marxiste lui-même, le pape argentin, formé dans la théologie du peuple, a vu les fruits que pouvait porter ce type ce dialogue. Quels sont-ils ? Pourquoi christianisme et marxisme se sont-ils opposés historiquement ? Comment peuvent-ils aujourd’hui contribuer à bâtir ensemble un ordre social moins injuste ?

Michael Löwy, philosophe franco-brésilien, marxiste hétérodoxe et écosocialiste, est membre du conseil scientifique de DIALOP. Il a beaucoup écrit sur le marxisme hétérodoxe, le romantisme révolutionnaire et la théologie de la libération, trois courants qui ne sont pas sans lien.

ENREGISTREMENT AUDIO DE LA CONFÉRENCE ICI.

l’instrumentalisation de la religion orthodoxe par l’etat russe dans sa guerre en ukraine

l’instrumentalisation de la religion orthodoxe par l’etat russe dans sa guerre en ukraine

La guerre lancée en Ukraine par Vladimir Poutine a mis en lumière l’instrumentalisation de la religion orthodoxe par le pouvoir russe.

Comment cela est-il possible ? Quelles racines historiques, idéologiques et politiques derrière cette mise au pas de la religion chrétienne en Russie ? Par comparaison, quels rôles jouent les Eglises en Ukraine pour soutenir la nation en lutte pour sa survie, pour agir de façon œcuménique et pour éviter les déclenchements de vengeance ?

Pour aborder ces questions importantes, douloureuses et passionnantes, nous avons la joie d’avoir avec nous deux grands spécialistes qui nous livreront leurs réflexions puis répondront aux questions de l’assemblée. Le père Ihor Rantsya, prêtre grec catholique ukrainien et Vicaire général de l’Éparchie Saint Volodymyr le Grand de Paris. Antoine Arjakovsky, directeur de recherche au Collège des Bernardins et fondateur de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv (Ukraine).

Retrouvez ci-dessous les interventions écrites des deux intervenants :

1/ Antoine Arjakovsky

Ce soir au Dorothy, un lieu que j’apprécie beaucoup, je voudrais essentiellement dire trois choses au sujet de la manipulation de l’Eglise orthodoxe dans la guerre russo-ukrainienne et du syndrome de Stockholm du patriarcat de Moscou (un thème que j’ai développé dans ma contribution au livre « Le livre noir de V. Poutine » sous la direction de G. Ackerman et S. Courtois, paru en novembre 2022 chez Robert Laffont). D’abord je compte revenir sur l’évidente responsabilité de l’Eglise orthodoxe russe dans la guerre en Ukraine. Puis je proposerai ce qui m’apparaît comme l’une des causes majeures de la maladie de l’âme russe. J’expliquerai pourquoi ce n’est pas une nouvelle sécularisation de la Russie qui représente une solution viable pour l’avenir mais plutôt une nouvelle théologie politique, plus orthodoxe, c’est-à-dire à la fois vraie, juste, fidèle et glorieuse. Enfin je terminerai en proposant une réforme de la théologie politique de l’Eglise orthodoxe mais aussi du mouvement œcuménique des Eglises.

  1. La lourde responsabilité de l’Eglise orthodoxe russe

L’Église orthodoxe est reconnue par une très grande majorité de citoyens russes, soit entre cinquante-huit et cent millions de personnes en fonction des statistiques[1]. Mais le retour à la foi, qui s’est produit dans les années 1990 d’une grande partie de la population russe libérée de l’emprise idéologique du parti communiste, ne s’est pas accompagné pour autant d’un travail de catéchisation. L’homo post sovieticus ignore complètement par exemple ce qu’est le mouvement œcuménique, y compris dans sa version moderne, c’est-à-dire dans sa saisie ecclésiale et inter-confessionnelle. Il l’assimile dans la plupart des cas à une forme d’hérésie occidentale malgré la participation de l’Église russe au Conseil œcuménique des Eglises depuis 1961.

Or, en 1964, la constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium adopté lors du concile Vatican II de l’Église catholique modifia de façon déterminante la notion même de catholicité en distinguant entre l’Église du Christ et l’Église « catholique », la première subsistant dans la seconde, la seconde nourrissant la première[2]. De leur côté, les théologiens orthodoxes russes émigrés, libérés depuis 1917 de l’emprise du césaro-papisme, avaient retrouvé notamment à l’Institut saint Serge à Paris une conception post-confessionnelle, sapientielle et personnaliste de l’Église, qu’ils définissaient comme la divino-humanité en acte, comme le fondement et le but de l’histoire du monde[3]. L’Église n’était pas seulement pour eux le peuple de Dieu en marche vers le Royaume. Plus profondément encore elle pouvait être saisie comme l’Épouse de l’Agneau, le lieu des noces visibles et invisibles, entre le Christ et toutes les communautés disposant d’un certain nombre d’éléments de sanctification et de vérité.

Il est vrai que cette définition plus mystique de l’Église fut par la suite perdue de vue par le mouvement œcuménique. Lors de son assemblée de Busan en 2014, les communautés chrétiennes membres du Conseil œcuménique des Églises, dont le patriarcat de Moscou, identifièrent l’Église du Christ à l’Église visible et reconnurent en conséquence qu’elles ne disposaient pas encore d’une vision commune de l’ekklesia. Une définition institutionnelle et confessionnelle prévalut, augmentant les risques de fractionnement des confessions chrétiennes et renforçant encore le sentiment des fidèles de traverser une période d’hiver œcuménique[4]. Cette crise de la modernité ecclésiologique favorisa l’avènement d’une forme de post-modernisme ecclésiologique. L’Église russe, sous la férule du patriarche Kirill depuis 2009, fit en effet la promotion du monde russe, une conception ethnocentrique et anti-œcuménique de l’Église.

Selon cette doctrine il n’existe pas de différence entre les nations russe, ukrainienne, bélarusse ou moldave en raison d’une conception mythifiée de l’histoire. Perdant de vue la définition paulinienne et spirituelle de l’Église, seule capable de surpasser les différences ethniques, mémorielles et linguistiques, cette doctrine du « ruskij mir » fut utilisée par les idéologues de l’Église russe depuis l’annexion de la Crimée en 2014 pour justifier l’agression par la Russie du peuple ukrainien[5]. Les Églises orthodoxes réunies en concile en 2016 en Crète condamnèrent la montée d’une conception nationaliste de l’Église mais sans proposer d’alternative au puissant modèle de la symphonie byzantine. En outre le patriarcat de Moscou avait boycotté à la dernière minute cette assemblée pourtant préparée pendant plus d’un demi-siècle. En retour le patriarche de Constantinople décida en 2018/2019 de reconnaître à l’Église orthodoxe d’Ukraine son droit à l’autocéphalie, un droit que l’Eglise de Kyiv réclamait depuis des centaines d’années, et de façon particulièrement insistante depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991.

Le patriarche Kirill, comprenant qu’il perdait son argument d’autorité canonique sur la majorité des vingt-cinq millions de fidèles orthodoxes de l’Eglise de Kyiv, multiplia les déclarations de soutien à la nouvelle offensive russe en Ukraine depuis février 2022. La veille même de la nouvelle invasion de l’Ukraine, le 23 février, jour du « Défenseur de la patrie », il donna sa bénédiction aux forces armées[6].  Le 6 mars 2022 à l’occasion du dimanche du pardon, qui marque dans le calendrier orthodoxe l’entrée dans le grand Carême, quarante jours avant la fête de Pâques, le patriarche Kirill reprit les thèses du Kremlin selon lesquelles le pouvoir ukrainien se livrait à un « génocide » contre les habitants du Donbass. On sait pourtant que ce sont des soldats russes qui ont annexé la Crimée et déstabilisé le Donbass jusqu’à proclamer la sécession des républiques auto-proclamées de Donetsk et de Louhansk[7]. Mais le patriarche n’accorda aucune attention aux propos d’Igor Guirkine, cet officier du GRU qui a admis pourtant à plusieurs reprises avoir été commandité par le Kremlin en Ukraine entre janvier et juillet 2014[8]. K. Gundiaev expliqua également que cette guerre était un conflit métaphysique contre les forces du mal.[9] Aussi absurde que cela puisse paraître, il expliqua que l’Occident, à cause de sa reconnaissance de l’identité homosexuelle, était le vrai responsable de la prétendue persécution des Ukrainiens du Donbass[10].

Le pape François a raconté dans un entretien accordé au quotidien italien Corriere della Sera, publié le 3 mai 2022, la teneur de son entretien vidéo avec le patriarche Kirill du 16 mars.[11]  Le pontife romain, longtemps favorable à la l’ostpolitik traditionnelle du Vatican à l’égard de l’Église russe, demanda, mais sans succès, au patriarche Kirill de ne pas devenir « l’enfant de chœur de Vladimir Poutine[12] ».

La justification par le patriarche Kirill de Moscou de l’extension de l’agression de l’Ukraine à partir du 22 février 2022 fut jugée intolérable par l’Église orthodoxe ukrainienne, – l’autre Église orthodoxe présente en Ukraine et dépendante de Moscou depuis 1686. C’est pourquoi elle se rassembla en concile les 27-28 mai 2022 afin de supprimer dans ses statuts toute attache avec le patriarcat de Moscou[13]. Mais comme les mois qui suivirent le montrèrent, avec notamment la préparation d’une loi « sur les Églises ukrainiennes dont le centre de contrôle se trouve dans l’État agresseur[14] », on ne sort pas en un jour de plusieurs siècles de dépendance. Il faudra un traitement de longue durée, associant des méthodes de community building à des formations poussées à l’ecclésiologie œcuménique, pour favoriser un processus de restauration de la confiance et de réconciliation entre les communautés chrétiennes en Ukraine. Mais surtout il nous faut comprendre les causes des maladies si contagieuses et si destructrices de l’âme russe.

  • Les maladies historiques de l’âme russe

Dans mon Voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou, Anatomie de l’âme russe, publié en 2018 chez Salvator (puis traduit et publié en langue russe), j’ai pour ma part déjà avancé un certain nombre d’explications de la crise profonde que connaît la conscience russe depuis plusieurs siècles. Je me suis appuyé sur un certain nombre d’historiens russes comme Georges Fedotov et de théologiens orthodoxes réformateurs comme Serge Boulgakov pour expliquer les maladies de l’âme russe.  J’aimerais revenir ici sur l’une d’entre elles car elle me paraît importante, à savoir le fatalisme qui emprisonne la conscience religieuse russe depuis au moins le XIXe siècle. Il faut savoir en effet que l’ecclésiologie impériale russe ne repose pas seulement sur une fausse historiographie et sur une représentation déséquilibrée du mystère de l’Église.

Plus fondamentalement encore elle dérive d’une spiritualité monophysite. Selon cette hérésie tout événement historique est le fruit de la volonté divine puisqu’il n’existe pas à proprement parler de liberté humaine. C’est la raison pour laquelle l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski fut à la fois fasciné et horrifié par la prière des startsi d’Optyna Poustyn : « Seigneur, quelles que soient les nouvelles au cours de cette journée, donne-moi de les recevoir dans la paix et avec une ferme conviction que ta sainte volonté est sur toute chose. »

Cette prière faisait de Dieu le complice du mal sur la terre, celui qui autorisait voire provoquait la violence. Les philosophes religieux russes refusèrent d’admettre cette hérésie, notamment Berdiaev qui rédigea un ouvrage sur l’œuvre de Dostoïevski pour dénoncer cette théorie et expliquer que « les yeux de Dieu sont incapables de voir le mal ». En 1983 un théologien français Jean-Miguel Garrigues a rappelé lui aussi, dans son livre Dieu sans idée du mal, que s’il est bien vrai que le Christ a dit à ses disciples que « même les cheveux de votre tête sont tous comptés », cela ne signifiait pas pour autant que la Sagesse de Dieu pouvait s’accomplir sans la participation humaine. En effet dans le Livre des Rois les paroles du roi Salomon conditionnent l’action de Dieu à la vertu humaine : « S’il se montre un honnête homme, il ne tombera pas à terre un seul de ses cheveux ; mais s’il se trouve en lui de la méchanceté, il mourra » (1 R, 1, 52).

Prenons un autre exemple de maladie de l’âme russe : sa conception erronée de la théologie du pouvoir politique. Le patriarche orthodoxe de Moscou, Kirill Gundiaev, mais aussi l’ancien président de la Fédération de Russie, Dimitri Medvedev, présentent « l’opération spéciale » comme une « guerre métaphysique », comme une lutte contre le « satanisme occidental ». On sait que de nombreux psychanalystes comme K.G. Jung ont mis à jour l’architecture symbolique de la conscience humaine. Il convient donc, en s’appuyant sur leur œuvre, de consacrer ses efforts non seulement à déceler les failles de la raison symbolique mais d’aider la raison narrative à intégrer les éléments salutaires de la raison interprétative, argumentative et reconstructive.

Comme pour illustrer une telle logique argumentative et reconstructive prenant au sérieux la logique symbolique, plusieurs centaines d’intellectuels appartenant à l’Église orthodoxe publièrent au mois de mars 2022 une « déclaration sur le monde russe » accusant le patriarcat de Moscou de propager une doctrine impérialiste et de céder à l’hérésie de l’ethno-phylétisme[15]. J’ai eu le privilège de signer ce texte qui a été rédigé sur le modèle de la fameuse déclaration de Barmen rédigée en 1934 par des chrétiens protestants allemands hostiles à l’embrigadement de leurs communautés religieuses par le pouvoir nazi. La déclaration fut principalement écrite par le théologien Karl Barth, mais d’autres protestants allemands y participent, comme Dietrich Bonhoeffer et Rudolf Bultmann.  

Le sens de cette déclaration de 2022 fut de dénoncer l’ethno-phylétisme, qui associe une civilisation particulière avec le royaume de Dieu (c’est le sens du thème de la Sainte Russie qui n’est qu’un mythe), et qui identifie une ethnie (la roussyne) à toute l’Église. Cette doctrine du monde russe est tirée à la fois de l’arianisme, qui considérait que le Fils de Dieu n’a pas toujours existé mais a été engendré dans le temps par Dieu le Père et donc niait la divinité du Christ, héritée d’Eusèbe de Césarée qui avait transformé l’empereur Constantin en lieutenant de Dieu sur la terre. Paradoxalement elle est aussi le fruit de l’hérésie du monophysisme (pour qui le Christ n’a qu’une seule nature divine qui a absorbé l’humaine) qui s’est emparé de l’Église orthodoxe russe à travers certains commentaires patristiques (notamment Cyrille d’Alexandrie). Cette hérésie nie l’humanité du Christ et le rôle de l’histoire dans l’économie du salut et identifie de façon exclusive l’Église orthodoxe à l’Eglise du Christ. La non reconnaissance de l’altérité nationale ukrainienne et le rejet de la définition sapientielle de l’Église sont les conséquences d’une conception monophysite de Dieu, selon laquelle l’humanité ne dispose pas de liberté réelle. Elle est aussi le fruit aussi d’une vision docétiste de l’Église, qui refuse toute réalité tangible au royaume de Dieu sur la terre. La seule conception ecclésiologique qui compte est la vision impériale de Moscou, troisième Rome, capitale de la chrétienté restaurée et définitive[16].

La vision hérétique et impérialiste de l’Église du patriarcat de Moscou a conduit à une rupture de communion avec le patriarche œcuménique de Constantinople et à la reconnaissance par ce dernier en 2019 de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe d’Ukraine, compte tenu de son ancienneté millénaire et de son désir de vivre dans l’Église de façon plus spirituelle que confessionnelle. Cette intervention du patriarche œcuménique a été mal vécue dans le monde orthodoxe pro-russe à la fois en raison d’une conception défaillante de l’histoire russe et du fait d’une vision hétérodoxe de l’ecclésiologie. Il y a donc bien un travail de formation à mener avec l’appui des meilleurs historiens et ecclésiologues. L’avantage de la méthode œcuménique est qu’elle permet de retrouver une métaphysique capable de comprendre les causes des divergences passées et de trouver les ressources pour les dépasser dans le dialogue et le travail exigeant d’élaboration de consensus différenciés.

Dans le texte des intellectuels orthodoxes, on trouve déjà une nouvelle théologie politique capable de libérer les chrétiens orthodoxes russes de leur emprise à l’égard de la vieille théologie de la symphonie byzantine et de l’anthropologie culpabilisante de l’homme déchu. Elle met fin à la nostalgie du monde perdu de l’Empire et suggère un nouveau rapport eschatologique à l’histoire. Elle s’appuie sur la méthode de la mémoire fidèle à travers six citations de l’Évangile qui mettent l’accent sur six aspects de cette nouvelle théologie du politique. 

Premièrement, cette nouvelle – et très ancienne en même temps – théologie orthodoxe du politique fait la distinction entre le royaume politique de ce monde (compris comme le monde déchu) et le royaume de l’Esprit qui dépasse le cadre des nations (cf. Jn 18, 36).Deuxièmement,elle opère la séparation du pouvoir politique (compris comme dominateur et coupé de Dieu) du pouvoir de l’Esprit divin actif dans le monde : il y a bien un accès au royaume de Dieu mais de façon eschatologique et personnaliste, et non pas cyclique ou progressiste ou fataliste(cf. Mt 22, 21). Troisièmement, la théologie du politique chrétienne est pleinement œcuménique (au sens trans-religieux, trans-convictionnel, trans-disciplinaire) c’est-à-dire universelle, ternaire et personnelle en tant qu’elle est capable de dépasser les conditions divisées et donc déchues de ce monde (cf. Ga 3, 28). Quatrièmement, la théologie du politique, est fondée sur un Dieu d’amour et non de violence, capable d’aimer ses ennemis et non d’utiliser la violence contre eux(cf. Mt 5, 43-45).

Cinquièmement,la théologie orthodoxe authentique équilibre la justice sacrificielle (substitutive) par la justice préventive et reconstructive (l’employeur qui donne la même rémunération à celui qui a travaillé une heure qu’à celui qui a travaillé huit heures), mais aussi la justice distributive par la justice appréciative (le pasteur qui va chercher la brebis perdue et qui abandonne tout le troupeau. Cf. Mt 9, 13 ; voir aussi Os 6, 6, et Is 1, 11-17)La théologie du politique est métaphysique en raison de l’autodéfinition du Christ : « Je suis la Vérité, et le Chemin et la Vie » (Jean 14, 6) : elle affirme que l’homme a accès à la vérité du réel le plus authentique, le plus juste, le plus durable, le plus vivant à travers la foi-raison, la rationalité ouverte à l’Esprit. La vérité est à la fois auto-révélation de Dieu dans sa Sagesse créée (emeth) et auto-révélation de la Sagesse divine en l’homme (aletheia).

Enfin, sixièmement, la théologie ne peut être coupée de la philosophie, elle comprend la vérité comme une réalité personnelle et non pas seulement conceptuelle, capable d’apporter la libération et l’épanouissement authentique (cf. Jn 8, 31-32). Un tel enseignement de la théologie chrétienne orthodoxe du politique pourrait contribuer à aider nombre de Russes orthodoxes à se défaire de leur vision du monde profondément pessimiste et fataliste.

Le gouvernail de l’intelligence de la foi dans toutes les religions est désigné par le terme d’orthodoxie. Mais l’orthodoxie ne doit être réduite ni à une confession particulière ni à une simple conformité à la norme. Pour rendre compte du vrai et participer à la vérité, l’orthodoxie de la croyance ne doit pas être séparée de façon radicale de la vérité rationnelle. L’orthodoxie est ce qui dans la conscience humaine fait tenir ensemble dans chaque tradition spirituelle et philosophique les pôles invariants de la loi morale et de la justice sociale (axe horizontal), de la mémoire et de la louange (axe vertical). Dans cette perspective, le fondamentalisme apparaît lorsqu’un pôle prévaut sur un autre et en vient à l’étouffer. On trouve alors quatre formes de fondamentalisme. Ceux qui insistent sur la louange, au détriment de la mémoire et de la puissance de l’interprétation, peuvent se muer très vite en fous de Dieu (ou en « ultras » dans un stade de foot). Inversement, si la mémoire évince le méta-conceptuel, les dangers du cléricalisme religieux ou de la bureaucratie séculière peuvent apparaître. Mettre l’accent sur la conscience morale individuelle, en ignorant le bien commun, transforme le croyant religieux en zélote et le croyant séculier en nationaliste ou en populiste. Inversement, le justicier qui veut imposer son amour d’autrui, sans manifester lui-même un esprit de responsabilité, peut se muer en un spiritualiste libertaire ou un révolutionnaire blasphémateur.

  • La nécessaire réforme des Eglises orthodoxes et du mouvement œcuménique

Malheureusement ni les Églises orthodoxes ni le Conseil œcuménique des Églises ne disposent d’une conscience ecclésiale à la hauteur de la gravité des enjeux, capable d’aider l’Eglise à retrouver le droit chemin de la foi chrétienne. Il se trouve en effet que le comité central du Conseil œcuménique des Églises, au lieu de suspendre la participation de l’Église orthodoxe russe pour son soutien à la guerre russe en Ukraine, a invité en septembre 2022, avec l’appui de toutes les Eglises orthodoxes, lors de son assemblée générale à Karlsruhe, les représentants du patriarcat de Moscou. Le COE a même élu à nouveau, pour les huit prochaines années, des membres du patriarcat de Moscou dans ses instances exécutives.

Le patriarche Kirill, considérant dès lors qu’il disposait d’une totale impunité, a pu en conséquence, après l’Assemblée de Karlsruhe, aller plus loin encore dans la justification de la guerre. Le dimanche 25 septembre 2022, dans son homélie prononcée dans l’église saint Alexandre Nevski de Peredelkino, il promit l’absolution aux soldats russes allant combattre en Ukraine :

Nous savons qu’aujourd’hui beaucoup meurent sur les champs de batailles. L’Église prie pour que cette guerre [avec l’Ukraine, ndlr] se termine le plus tôt possible, pour que le moins de frères possible s’entre-tuent dans cette guerre fratricide. Et en même temps, l’Église est consciente que si quelqu’un, poussé par le sens du devoir et la nécessité de remplir sa mission, reste fidèle à sa vocation et meurt en exerçant ses fonctions militaires, alors il commet sans aucun doute un acte équivalent à un sacrifice. Il se sacrifie pour les autres. Et donc nous croyons que ce sacrifice lave tous les péchés qu’il a commis[17].

Mais la position des Églises orthodoxes et celle du comité central du COE selon laquelle le Conseil œcuménique des Églises n’est qu’une « plateforme de dialogue » ne pourra être maintenue très longtemps. Car la vocation initiale du COE est de former un fellowship d’Eglises et non une sorte de tik tok chrétien. Il consiste à fonder le dialogue sur la base éthique de l’Évangile et donc sur la condamnation de toute guerre d’invasion. En outre, les trois cents cinquante Églises membres du COE ne pourront souffrir à l’avenir de croiser dans des assemblées et des commissions des hiérarques légitimant les dizaines de milliers de soldats et de civils morts de part et d’autre en l’espace de quelques mois, les centaines de milliers de blessés, les plus de dix millions de déplacés, etc. De plus, au 18 juillet 2022, selon les données vérifiées de l’UNESCO, les attaques russes ont partiellement ou totalement détruit cent soixante-quatre sites culturels, dont soixante-douze édifices religieux.

Dans les années 1970-1980, le COE s’était battu contre l’apartheid en Afrique du Sud, au point même de mettre une pression très forte sur les Églises qui soutenaient la ségrégation. La Conférence des Églises en Europe a également su mettre des limites à l’impérialisme russe en 2008, en soutenant contre les visées du patriarcat de Moscou, l’Église orthodoxe apostolique d’Estonie (une Église autonome qui relève du patriarcat de Constantinople). Déjà, nombre d’éminentes personnalités de l’Église orthodoxe relevant du patriarcat de Moscou demandent l’exclusion du patriarche Kirill du COE comme Andrew Louth, prêtre et théologien britannique[18]. Il relaie auprès du COE la demande des experts œcuméniques de s’efforcer d’entendre la voix des opprimés dans l’Église orthodoxe russe, de défendre les courageux prêtres et croyants de Russie qui se sont prononcés contre la guerre. Mais la voix la plus claire pour sanctionner le patriarcat de Moscou et l’isoler de la communauté des trois cents cinquante Églises du COE est venue de la part du président allemand Frank-Walter Steinmeier lors de son discours d’ouverture de l’Assemblée. Il convient de citer longuement ses paroles car elles furent un rare moment de prophétisme au cours de l’événement de Karlsruhe :

À l’approche de l’Assemblée, il a été indiqué que le dialogue devait à tout le moins être rendu possible. Très bien, mais le dialogue n’est pas une fin en soi. Le dialogue doit faire la lumière sur ce qui se passe. Le dialogue doit attirer l’attention sur l’injustice, doit identifier les victimes et les auteurs des crimes – et leurs sbires. Or, le dialogue qui se borne aux vœux pieux et aux généralisations vagues peut, dans le pire des cas, devenir une plateforme de justification et de propagande. Quelle sorte de dialogue nouerons-nous ici ? Ce choix incombe à l’Assemblée et la position de l’Allemagne, et je parle ici aussi au nom du Gouvernement fédéral, est claire. […] La direction de l’Église orthodoxe russe s’est alignée sur les crimes de la guerre contre l’Ukraine. L’idéologie totalitaire, déguisée en théologie, a engendré la destruction complète ou partielle de nombreux sites religieux sur le territoire ukrainien : des églises, des mosquées, des synagogues, des bâtiments scolaires et administratifs appartenant à des communautés religieuses. Aucun-e chrétien-ne encore en pleine possession de sa foi, de sa tête et de ses moyens ne pourra y voir la volonté de Dieu[19].

  • Conclusion

En réalité le mouvement œcuménique devrait s’inspirer de ce que vivent déjà toutes les traditions religieuses présentes en Ukraine et réunies au sein d’un Conseil des Églises chrétiennes et des traditions religieuses[20]. Ce Conseil fonctionne depuis de nombreuses années et parvient à trouver quantité de consensus en commun. Depuis le 24 février 2022 il montre une solidarité sans faille à l’égard du gouvernement ukrainien et entreprend quantité d’initiatives humanitaires pour soulager la population ukrainienne de ses nombreuses souffrances. En outre un travail de formation conjointe à la science œcuménique a été initiée par l’Institut d’études œcuméniques de Lviv et contribue à supprimer les aprioris existant au sein des différentes communautés religieuses en Ukraine[21]. Le temps est donc venu de passer d’un œcuménisme inter-confessionnel à une conscience œcuménique pleinement trans-confessionnelle fondée sur la vérité de l’évangile et sur le témoignage authentiquement chrétien.

Pour changer de paradigme, pour accéder au niveau de conscience méta-moderne, les institutions religieuses doivent donc se transformer, se décentrer et apprendre à trouver la juste distance avec les États souverains, ni séparation radicale et ni fusion totale, mais saine coopération. Si le mouvement œcuménique est parvenu au XXe siècle à s’institutionnaliser notamment par la création du Conseil œcuménique des Églises et par la création du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, ces institutions au XXIe siècle ont plus de mal à faire avancer la cause de l’unité dans le respect des différences en raison d’une conception trop auto-centrée de leur nature et de leur mission. Il faut aujourd’hui revenir au projet visionnaire au XXe siècle du métropolite André Sheptytsky qui en co-fondant l’abbaye bénédictine de Amay sur Meuse (devenue aujourd’hui l’abbaye de Chevetogne) et en lançant les premières semaines sociales œcuméniques avait en vue un nouvel œcuménisme, trans-confessionnel, trans-institutionnel, fondée sur la fameuse prière du Christ « Qu’ils soient tous un comme nous sommes un ».

Au Collège des Bernardins nous avons initié une nouvelle formation sur la science oecuménique à trois voix (un orthodoxe, une anglicane, un catholique). Cette formation de 12 heures est gratuite, multilingue et en ligne : Qu’est-ce que l’œcuménisme ? – Collège des Bernardins (collegedesbernardins.fr). Elle devrait aider, je l’espère, ces institutions œcuméniques à se réformer[22].

Je vous remercie pour votre attention.

[1] Christianisme orthodoxe par pays — Wikipédia (wikipedia.org)

[2] Lumen gentium (vatican.va)

[3] S. Boulgakov, La Sagesse de Dieu, Paris, L’Age d’Homme, (1936), 1983, p. 87.

[4] Antoine Arjakovsky, Essai de métaphysique œcuménique, Paris, Cerf, 2021.

[5] Le blog d’Antoine Arjakovsky: L’aveuglement dramatique des théologiens orthodoxes en Occident sur la Russie. Réponse à la lettre de Fr. Alexander F. C. Webster, James George Jatras, and Fr. Victor Potapov

[6] « Chaque soldat qui a prêté serment doit être prêt, si la Patrie en a besoin, à aller défendre son peuple. Notre peuple n’a aucun doute que c’est ainsi que l’armée russe a été élevée, que vous êtes venus remplacer vos pères et grands-pères héroïques, des générations héroïques de défenseurs de la Patrie. Et que Dieu accorde cet amour pour la Patrie, la disponibilité au sacrifice de soi, la disponibilité à toujours défendre votre pays et votre peuple sont intrinsèquement présents dans votre esprit et vos cœurs. Du fond du cœur, je vous souhaite un ciel paisible, un service calme et en même temps le maintien d’une disponibilité constante à défendre la défense de votre Patrie. Joyeuses fêtes à vous! » У День захисника Вітчизни Святіший Патріарх Кирил поклав вінок до могили Невідомого солдата біля Кремлівської стіни / Новини / Патріархія.ru (patriarchia.ru)

[7] A. Arjakovsky, Occident-Russie : comment sortir du conflit ?, Paris, Balland, 2017.

[8] Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя / Патриарх / Патриархия.ru (patriarchia.ru)

[9] Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя / Патриарх / Патриархия.ru (patriarchia.ru)

« Tout cela indique que nous sommes entrés dans une lutte qui n’a pas de signification physique, mais métaphysique. Je sais comment, malheureusement, les orthodoxes, les croyants, qui choisissent la voie de la moindre résistance dans cette guerre, ne réfléchissent pas à tout ce à quoi nous pensons aujourd’hui, mais suivent docilement le chemin que les puissants de ce monde leur montrent. Nous ne condamnons personne, nous n’invitons personne à monter sur la croix, nous, nous disons simplement : nous serons fidèles à la parole de Dieu, nous serons fidèles à sa loi, nous serons fidèles à la loi de l’amour et de la justice, et si nous voyons des violations de cette loi, nous ne nous humilierons jamais avec ceux qui détruisent cette loi, brouillant la frontière entre la sainteté et le péché. Et encore plus avec ceux qui promeuvent le péché comme modèle ou comme l’un des modèles du comportement humain ».

[10] Версия для печати / Патриаршая проповедь в Неделю сыропустную после Литургии в Храме Христа Спасителя / Патриарх / Патриархия.ru (patriarchia.ru) « Pendant huit ans, il y a eu des tentatives de détruire ce qui existe dans le Donbass. Et dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont maintenant offertes par ceux qui revendiquent le pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce gouvernement, un certain laisser-passer à ce monde « heureux », le monde de la consommation excessive, le monde de la « liberté » visible. Et vous savez quel est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrible – c’est la gay-pride. Les exigences imposées à beaucoup d’organiser un défilé de la fierté gay sont un test de loyauté envers ce monde tout puissant ; et nous savons que si des gens ou des pays rejettent ces demandes, ils n’entrent pas dans l’autre monde, ils y deviennent étrangers »

[11] Kirill, « l’enfant de chœur de Poutine » (la-croix.com) : « Les vingt premières minutes, un papier à la main, il m’a lu toutes les justifications de la guerre. J’ai écouté et j’ai dit : “Frère, […] nous ne pouvons pas utiliser le langage de la politique, mais (devons utiliser) le langage de Jésus. […] Nous devons chercher des moyens de paix, arrêter le bruit des armes ».

[12] L’Ostpolitik (« la politique vers l’Est » en allemand), désigne la politique étrangère mise en œuvre par Willy Brandt en tant que chancelier social-démocrate (SPD) de l’Allemagne de l’Ouest (RFA) de 1969 à 1974. Cette politique consiste à normaliser les relations avec l’Union soviétique, l’Allemagne de l’Est (RDA) et les autres pays d’Europe de l’Est afin de durablement assurer la paix et la sécurité en Europe. Ce type d’approche correspond à une stratégie d’apaisement qui consiste à vouloir dialoguer avec Moscou au détriment des puissances régionales qui sont sous domination de la Russie. Elle a été adoptée par le Vatican dans les années 1970, contestée par Jean-Paul II, premier pape à se rendre en Ukraine, mais a finalement été réactivée sous les papes Benoît XVI et François au détriment de la présence catholique en ex-URSS.

[13] Comment le patriarche de l’Église orthodoxe russe s’est-il radicalisé? – Observatoire (cnrs.fr)

[14] La transformation de l’UOC-MP dépend de la loi à adopter, – Tkachenko – RISU

[15] LOrthodoxie-la-Russie-et-lUkraine-Déclaration-sur-le-Monde-russe-13-mars-2022-Rev2.pdf (publicorthodoxy.org)

[16] Alain Besançon, Sainte Russie, Paris, Fallois, 2012.

[17] В Неделю 15-ю по Пятидесятнице Святейший Патриарх Кирилл совершил Литургию в Александро-Невском скиту / Новости / Патриархия.ru (patriarchia.ru); https://fr.aleteia.org/2022/09/27/les-paroles-va-t-en-guerre-du-patriarche-kirill/

[18] Should the WCC Expel Patriarch Kirill? – Public Orthodoxy

[19] F.-W. Steinmeier : https://www.oikoumene.org/fr/resources/documents/german-federal-president-frank-walter-steinmeiers-address-at-the-wcc-11th-assembly

[20] Війна і Церква. Церковно-релігійна ситуація в Україні 2022р. (листопад 2022р.) (razumkov.org.ua)

[21] Institute of Ecumenical Studies – Institute of Ecumenical Studies (ucu.edu.ua)

[22] Qu’est-ce que l’œcuménisme ? – Collège des Bernardins (collegedesbernardins.fr)

2/ Ihor Rantsya

Bonsoir à tous et merci pour l’invitation. Je vais développer un exposé en dix points successifs. Excusez mon français imparfait.

1.     Les Roi mages
En janvier 2014, les soi-disant dons des Rois Mages, des reliques prétendument liées à la Nativité du Christ, sont arrivées en Ukraine depuis le Mont Athos en Grèce via Moscou.Pendant presque une semaine, un mois et demi avant l’annexion de la Crimée par la Russie, ces dons (l’or, l’encens et la myrrhe) ont été vénérés par les pèlerins dans le Monastère des Grottes de Kyiv. Je ne veux blesser les sentiments religieux de personne, pour cela je n’expliquerai pas ma propre attitude à l’égard d’une telle relique, je ne n’évaluerai pas cette façon de rassembler les foules et de les manipuler, de les zombifier (au lieu de donner la vérité de l’évangile). De Kiev, les dons de Rois mages se dirigent vers la Crimée. Au total, un demi-million les adoraient, ils ont écouté des homélies. Évidemment, sans le soutien de l’État (de quel État ? russe ? ukrainien ?), il serait impossible d’organiser un tel événement. L’État ukrainien de l’époque a été dirigé par Viktor Ianoukovitch, celui qui s’enfuit plus tard en Russie.Mais là n’est pas la question : avec les dons des Rois Mages, Igor Girkin en tant que chargé de surveillance de dons, est venu en Ukraine, ainsi qu’une équipe d’agents des services spéciaux russes qui se sont infiltrés en Ukraine à Kiev et en Crimée, et ont aider à gérer les événements liés au séparatisme russe qui ont eu lieu en Ukraine à cette année.Une instrumentalisation terrible et effrayante de la religion. Ce que les croyants ordinaires perçoivent comme sacré devient en fait un outil pour atteindre des objectifs criminels.Je vous rappelle que Igor Girkin est reconnus coupables par la cour de La Haye pour la catastrophe du Vol Malaysia Airlines le 17 juillet 2014.
2.     Le sort de canonicité
Dans l’Église orthodoxe russe, il y a une idée qui provoque la panique mortelle parmi clergé et les fidèle laïcs aussi, l’idée de la soi-disant canonicité et non-canonicité. Le terme «canonique » signifie « ce qui est conforme à la loi d’Église», légitime. Mais, dans l’orthodoxie russe, cette idée a acquis une signification mystique est presque ésotérique. Les icônes sont canoniques et non-canoniques, les prières sont canoniques et non-canoniques, le baptême est canonique et non canonique, le territoire est canonique et non canonique (entre autres, l’Ukraine et l’ensemble du territoire de l’ex-Union soviétique à l’exception de la Géorgie est le territoire canonique exceptionnel du Patriarcat de Moscou)Si dans l’orthodoxie grecque le mot non-canonique signifie que le statut doit être réglée, ajuster, alors dans l’orthodoxie russe, non-canonique signifie vide, sans grâce divine, voire diabolique.La propagande de l’État russe, les structures médiatiques du Patriarcat de Moscou, l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou, ont prêché pendant de nombreuses années sur la non-canonicité de l’Église ukrainienne, la non-canonicité de l’État ukrainien, la non-canonicité de la langue ukrainienne, etc. La propagande de ce genre, pour laquelle des millions de dollars de l’État russe ont été dépensés, a si bien fonctionné que l’évêque, le prêtre a la peur d’aller au-delà du cadre canonique. L’Église ukrainienne est non-canonique, la langue ukrainienne est non-canonique pour le patriarcat de Moscou et pour l’État russe
3.     Le Tsar et le monde russe
Je ne parlerai pas de cette image d’un dirigeant chrétien, sur laquelle travaille la propagande russe ; à propos du président russe allumant des bougies dans l’église, recevant des bénédictions du patriarche, étant vu dans l’église aux offices de Pâques,  – je pense que nous avons tous vu des mèmes Internet sur ce sujet. Le dirigeant chrétien qui, dans presque chaque son discours, dénonce l’Occident pourri pour sa propagande de la sexualité défigurée, de la question de genre, etc. D’ailleurs, certains de mes amis catholiques tradis adorent ce discours poutinien : Je reçois de temps en temps des questions ou des conseils suivants : ” Vous, Ukrainiens, réfléchissez à ce que vous devez choisir : vivre dans un pays chrétien orthodoxe (la langue officielle, les couleurs du drapeau ont-ils vraiment l’importance) ou aller en Europe, où toutes ces pseudo-valeurs libérales vous seront imposées ?” Ce leader chrétien russe a donc comme une mission divine de libérer l’espace russe de l’influence destructrice des valeurs occidentales. L’espace russe, le monde russe, est une question très vaste : il contient tous les peuples qui ont été baptisés à partir de la Kyiv russe ; il contient les endroits où l’Église russe et la langue russe sont répandues ; il contient les pays qui faisaient autrefois partie de l’Empire russe, c’est l’alphabet cyrillique, les Slaves, etc.Mais surtout c’est l’Ukraine, qui est une création étatique artificielle de l’Empire austro-hongrois, de la Pologne et de l’Église catholique romaine pour affaiblir l’État russe et l’Église russe.
4.     L’orthodoxie politique ukrainienne et l’athéisme orthodoxe russe
Pour atteindre certains objectifs de l’Église orthodoxe, les orthodoxes ont le droit d’utiliser des instruments et des méthodes politiques dans le cadre de leurs activités.  À son tour, pour atteindre des objectifs politiques, l’État peut utiliser l’Église orthodoxe, peut créer l’Église orthodoxe d’État et s’en servir pour ces objectifs. Ces sont des postulats de soi-disant orthodoxie politique, condamné en 2007 par l’Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou, mais non pas par le patriarcat de Moscou lui-même.Cela conduit à un phénomène intéressant : l’athéisme orthodoxe russe: il ne s’agit pas seulement de l’enracinement des athées dans l’environnement culturel orthodoxe russe, mais d’une position active de soutien politique et autre à l’orthodoxie en tant que religion sans être croyant.Ce sont des formes terribles de l’instrumentalisation de l’Église orthodoxe.
5.     La patrimoine volé
L’une des méthodes d’instrumentalisation de la religion dans l’espace est-européen est la revendication absolue et exclusive du patriarcat de Moscou sur l’héritage de l’église de Kyiv, sur la Métropole d’origine de Kyiv, fondée au 10e-11e siècle, la date symbolique est la 988e année du baptême de l’ancienne principauté médiévale de Kiev. Nous avons un cas assez rare dans l’histoire ecclésiastique quand une Église provinciale, régionale, Église-Fille est devenue économiquement et politiquement plus forte que l’Église-Mère, et à cause de cela, l’Église-fille s’est fixé pour objectif de conquérir l’Église-mère, et la soumettre. Le patriarcat de Moscou, Église-Fille, depuis un demi-millénaire d’histoire de l’Église en Europe de l’Est, tente de monopoliser et de s’approprier l’héritage kyivien. Il est triste que l’église de Moscou et l’État russe essaient de construire leur identité sur de fausses fondations.
6.     Le nationalisme 
Malheureusement, il n’y a pas le temps pour développer en détail ce sujet complexe, le sujet du lien entre religion et nationalisme. Ma propre église, l’Église gréco-catholique ukrainienne est souvent accusée d’être nationaliste. Une situation bizarre et injuste : d’être français et de promouvoir les intérêts de sa nation est du patriotisme, d’être russe et de prendre soin des intérêts de son pays est du patriotisme, d’être ukrainien et penser des intérêts de son État est du nationalisme ! Dans les conditions d’agression militaire, il est évident que les sentiments nationaux patriotiques des Ukrainiens, y compris les Ukrainiens croyants, orthodoxes, catholiques, gréco-catholiques, sont renforcés.
7.     L’uniatisme 
Je représente l’Église gréco-catholique ukrainienne, c’est-à-dire l’ancienne métropole de Kiev, qui s’est unie en 1596 à l’Église romaine, un événement connu sous le nom d’Union Brest (il ne s’agit pas de ville de Brest en Bretagne, mais la ville de Brest en Biélorussie contemporaine), du nom Union Brest vient le terme péjoratif uniatisme. Mon église, l’Église gréco-catholique ukrainienne, a été liquidée à plusieurs reprises par l’Empire russe et l’Union soviétique, sans succès bien évidemment,  elle ne peut pas avoir ses propres structures épiscopales en Russie contemporaine bien qu’il y ait probablement plus de gréco-catholiques ukrainien en Russie que les catholiques romains, qui ont leurs 4 diocèses. Actuellement, mon église est instrumentalisée de la manière d’être présentée par la Russie comme un projet contre l’orthodoxie canonique russe pour l’affaiblir, comme un moyen de propagande parmi les orthodoxes, et en même temps comme un moyen de manipulation du Saint-Siège, alors que mon l’Église exprime une opinion qui ne coïncide pas avec celle de Saint-Siège.
8.     L’Église orthodoxe d’Ukraine à la russe
Je ne développerai pas non plus cet autre sujet sensible, à cause de manque de temps, seulement quelques phrases : L’Église orthodoxe d’Ukraine créée et reconnue en 2019 par le patriarcat de Constantinople.Il existe de sérieux risques que l’Église orthodoxe d’Ukraine soit instrumentalisée par l’État ukrainien et se développe selon certaines des caractéristiques de l’Église orthodoxe russe actuelle. Le contexte multiconfessionnel de l’Ukraine est sa richesse et son atout et c’est à préserver.
9.     Le pape orthodoxe
Le Patriarcat russe reste complètement instrumentaliste par l’État russe depuis 1943 . lorsque pendant le deuxième guerre mondiale, Staline a restauré l’institution patriarcale dans l’Église orthodoxe, afin de l’utiliser comme un instrument pour mobiliser la population pour la victoire.Le patriarcat de Moscou sert l’idée de la soi-disant 3e Rome. La 1ère Rome, Rome catholique est tombée à cause des hérésies. La nouvelle Rome, Constantinople a été détruite par les musulmans, ce qu’a été la punition de Dieu à cause de l’Union de Florence 1439. La 3e Rome est le patriarcat de Moscou. La 4e Rome n’existera jamais.Le patriarche de Moscou est assimilé à un fonctionnaire au niveau du vice-premier ministre et, par conséquent, utilise des avions gouvernementaux, est protégé par les services spéciaux russes et est donc sur écoute et surveillé par ces derniers. La raison pour laquelle le le patriarcat de Moscou bénit les Russes pour leur agression contre l’Ukraine est maintenant claire… La façon dont le patriarche de Moscou gouverne l’Église russe est plus papiste que la façon dont le pape gouverne l’Église catholique.Pour cela, le patriarche de Moscou est facilement et effectivement utilisé le Kremlin.Pour cela, le patriarche de Moscou n’a jamais exprimé la compassion aux les Ukrainiens orthodoxes du patriarcat de Moscou qui souffrent de la guerre.Le patriarche de Moscou annexe des diocèses de l’Église orthodoxe ukrainienne, suivant l’exemple de l’annexion de régions ukrainiennes par la Russie
10.  Le pape catholique
Encore une fois, un sujet très difficile pour un catholique.Les déclarations du pape François concernant la guerre en Ukraine sont incompréhensibles pour les Ukrainiens, qu’ils soient catholiques ou non.Le thème de la réconciliation, que le pape utilise, est prématuré.Même si nous, Ukrainiens, pouvons comprendre que le pape devrait rester neutre, nous ne pouvons pas comprendre pourquoi il place au même niveau la victime et l’agresseur.Pour les catholiques ukrainiens, la position du pape François dans les affaires politiques concernant la guerre en Ukraine est étrangère. Je ne parle pas bien sûr ses efforts humanitaires. Nous pensons que le pape est instrumentalisé par l’État russe pour promouvoir le thème de la paix, ce qui conduira à une conservation du conflit et à une revanche de la Russie à l’avenir.Je suppose que lors de sa récente rencontre avec le président Zelensky, le pape a tenté de le convaincre d’abandonner la contre-offensive et d’entamer des négociations en vue d’un cessez-le-feu.C’est un sujet difficile pour moi, mais comme beaucoup de catholiques, je vois une sorte d’institutionnalisation du Saint-Siège par la diplomatie russe.En même temps, je crois que la position non catégorique Saint-Siège et de sa diplomatie portera ses fruits à un moment propice.

Renoncer au pouvoir ? Dieu et la politique chez Simone Weil

Renoncer au pouvoir ? Dieu et la politique chez Simone Weil

Les réflexions théologiques autour de la puissance divine ont des implications sur la manière dont nous envisageons le pouvoir politique. Le pouvoir humain peut être compris comme délégation du pouvoir divin, comme dans la monarchie de droit divin, ou comme appropriation d’un pouvoir qui ne peut être que celui de Dieu, comme dans l’anarchisme chrétien. L’insistance sur l’attribut de la toute-puissance divine a pu être un modèle de la construction d’une toute-puissance étatique, comme chez Hobbes. 

La pensée de Simone Weil se situe ailleurs, dans un modèle d’abdication du pouvoir : Dieu est tout-puissant mais ne commande pas partout où il en a le pouvoir. Le modèle politique de l’abdication divine permet aussi d’éclairer un double phénomène propre à la modernité identifié par Simone Weil à une forme d’idolâtrie : la théologisation ou sacralisation abusive du politique et la dépolitisation de la société.

Intervenante : avec Alexandra Féret, docteure en philosophie et professeure, spécialiste de l’œuvre de Simone Weil.

Enregistrement audio de la conférence : cliquez ici.

Taha siddiqui (prix albert londres 2014) au dorothy : chronique d’un journaliste pakistanais réfugié politique en france.

Taha siddiqui (prix albert londres 2014) au dorothy : chronique d’un journaliste pakistanais réfugié politique en france.

Le mardi 23 mai 2023, nous avons eu le plaisir et l’honneur de recevoir au Dorothy, en partenariat avec la librairie du Monte-en-l’air, le journaliste pakistanais Taha SIDDIQUI, exilé en France depuis 2018, pour la parution de son autobiographie sous forme de roman graphique : “Dissident Club” (Editions Glénat, 2023).


Il était accompagné d’Hubert MAURY, ancien officier et diplomate, qui se consacre aujourd’hui à plein temps au dessin et à l’écriture de scénarios de romans graphiques et co-auteur du roman graphique.


En 2018, après avoir été victime d’une tentative d’enlèvement et d’assassinat dans son pays d’origine, Taha Siddiqui trouve refuge en France avec sa famille. Il a ouvert en 2020 The Dissident Club, un café & bar où des dissidents du monde entier se retrouvent pour échanger et qui propose régulièrement des conférences, des expositions et des projections. À travers son roman graphique, il revient sur sa jeunesse, son parcours, et ses combats. Véritable chronique d’enfance et d’adolescence, “Dissident Club” retrace avec un humour libérateur et décomplexé le quotidien d’un jeune homme aux prises avec les fondamentalistes religieux ainsi que son combat pour un accès à l’information et la liberté d’expression.

Durant plus d’une heure, nous avons pu échanger avec Taha Siddiqui sur de multiples sujets : liberté de la presse, géopolitique, impact psychologique du parcours de réfugié politique… L’échange n’a pas été enregistré mais nous vous invitons à visionner cet entretien de Taha Siddiqui sur TV5 Monde : ENTRETIEN TV5 et nous vous encourageons à acquérir le roman graphique “Dissident Club”.

Choisir sa mort ? nouvelle soirée de réflexion au dorothy autour de la question de la fin de vie !

Choisir sa mort ? nouvelle soirée de réflexion au dorothy autour de la question de la fin de vie !

Enregistrement audio de la soirée.

Faut-il aider à mourir les personnes en fin de vie qui le demandent ? Depuis plusieurs années, sous l’influence des progrès de la médecine, et aussi du désir de nos concitoyens de maîtriser leur existence du début jusqu’à la fin, ce débat de société revient régulièrement. Il devrait faire l’objet d’une nouvelle loi cette année.

Pour le quotidien catholique La Croix, ces questions engagent les fondements mêmes de notre société et soulèvent des enjeux redoutables, au-delà d’un simple choix individuel. Conscients de la très grande diversité des convictions, y compris à l’intérieur du monde chrétien, La Croix a regroupé dans un petit livre 12 contributions sur la fin de vie : soignant, théologienne, rabbin, philosophe, écrivain… Leur idée est que cette grande diversité peut participer à éclairer ce débat. Parmi eux, l’historien des religions Philippe Portier permet de comprendre comment, en quelques décennies, une fracture s’est opérée sur la conception même de la vie, de la mort et de la dignité, entre l’Etat, les citoyens, et l’Eglise. 

Nous vous proposons un moment d’échange avec le philosophe et vice-président de l’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes) Philippe Portier et la rédactrice en cheffe de La Croix Isabelle de Gaulmyn, animé par Théo Moy, journaliste à La Croix et Cécile Jourdain, bénévole du Dorothy, autour de ces questions délicates. Comment comprendre ce basculement de la société sur ce sujet si profond ? Quels discours et arguments les chrétiens peuvent mobiliser pour demeurer audibles sur ces sujets ?

Enregistrement audio de la soirée.