Quelle utilité pour la théologie de la libération aujourd’hui ?

Quelle utilité pour la théologie de la libération aujourd’hui ?

Résumé de la conférence de Foucauld Giuliani au Dorothy (8 novembre 2018)
Cycle Théologie Politique

Dans les années 70, en cette période d’immixtion des Etats-Unis dans les affaires des pays sud- américains et de diffusion du marxisme, des membres du clergé s’inquiètent de voir des parties du haut clergé nouer alliance avec les élites rentières et ressentent le besoin de développer une pensée théologique nouvelle : ce sera la théologie de la libération. Cette théologie veut poser à nouveaux frais la question de l’action sociale et politique à mener en tant que chrétiens. Le principal représentant de ce courant théologique est Gustavo Gutierrez, prêtre et intellectuel péruvien. La théologie de la libération a été accusée de marxisme et d’instrumentalisation de la foi. Nous pensons plutôt qu’elle nous permet d’éclairer des aspects de l’expérience de foi et qu’elle détient une dimension pratique qui est précieuse. Gutierrez met en lien les idées de révolution, de communion et de libération. La libération, processus de lutte contre une injustice, n’est pas un procédé systémique sans enracinement spirituel mais une organisation collective au sein de laquelle les personnes engagées font l’expérience de la communion fraternelle et de la promesse biblique d’un Dieu combattant aux côtés des pauvres.

Cette théologie veut poser à nouveaux frais la question de l’action sociale et politique à mener en tant que chrétiens

La communion est aussi l’horizon de la libération. Il y a libération révolutionnaire quand les personnes libérées utilisent leur liberté nouvellement acquise dans le sens d’un renforcement des liens communautaires, non quand ils font usage de leur liberté pour se venger de leurs anciens oppresseurs. Cette conception de l’action suppose une Eglise qui assume un rôle particulier : dénonciatrice de l’injustice, lieu de conscientisation des aspects sociaux du péché et de mobilisation collective. Cela implique la constitution, au sein des paroisses, de communautés de prière, de réflexion et d’action en prise sur la réalité locale vécue. La théologie de la libération a légué au corpus de la Doctrine Sociale d de l’Eglise les concepts clés de « structure de péché » et d’ « option préférentielle pour les pauvres ». On peut lui reprocher une certaine confiance dans l’histoire, souvent perçue comme intrinsèquement portée vers le progrès des conditions de vie. En effet, dans le christianisme, l’histoire n’est pas le lieu d’une amélioration continue mais plutôt le théâtre d’un affrontement perpétuel entre des forces traversant non seulement les personnes mais aussi les sociétés.

Dieu sans maître : une présentation de l’anarchisme chrétien

Dieu sans maître : une présentation de l’anarchisme chrétien

Conférence d’Adrien Boniteau au Dorothy (18 octobre 2018)
Cycle Théologie Politique

« Tout pouvoir vient de Dieu ». C’est ainsi que la chrétienté a justifié, de manière générale, une obéissance quasi-absolue du chrétien aux régimes politiques existants. Pourtant, lorsque nous revenons aux sources bibliques, l’appréciation du pouvoir semble beaucoup plus nuancée, voire même critique. Si un certain nombre de passages pourraient laisser penser que l’obéissance du croyant au pouvoir est bienvenue — d’après une lecture souvent superficielle —, la plupart des textes bibliques s’opposent radicalement à toute forme de pouvoir. Ces passages critiques arguent du fait que, l’obéissance à Dieu étant absolue et exclusive, le croyant doit se soumettre à Dieu plutôt qu’au pouvoir : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac. 5, 29). Bien plus, la volonté d’exercer une charge politique est dénoncée comme une impiété, comme une tentative de se mettre à la place de Dieu : « Je ne dominerai point sur vous, et mon fils ne dominera pas sur vous ; car l’Éternel dominera sur vous » (Jg. 8, 23), ainsi que le déclare Gédéon. Jésus ne dira pas autre chose : « Ne vous faites pas appeler maîtres, car un seul est votre Maître, et vous êtes tous frères. […] Ne vous faites pas appeler chefs, car un seul est votre Chef, le Christ » (Mt. 23, 8-10). Comment alors comprendre les passages bibliques qui semblent donner une vision plus positive du pouvoir ? Il convient de ne pas les extraire de leur contexte d’énonciation mais de les étudier à la lumière de la pensée de leur auteur.

” L’obéissance à Dieu étant absolue et exclusive, le croyant doit se soumettre à Dieu plutôt qu’au pouvoir “

Ainsi, bien que Paul de Tarse admette qu’« il n’est d’autorité si ce n’est de par Dieu » (Rm. 13, 1), il n’en insiste pas moins, à l’instar de Jésus, sur le fait que l’obéissance à Dieu est exclusive de toute autre obéissance (1 Cor. 8, 4-6). En fait, il faut interpréter l’obéissance aux autorités prônée par Paul comme la conséquence de la nature déchue, pécheresse, de l’homme, comme le résultat de la nécessité à laquelle il est assujetti en tant que pécheur. Or le croyant est justement affranchi de cette nécessité par la liberté en Christ, qui « a dépouillé les dominations et les autorités, et les a livrées publiquement en spectacle, en triomphant d’elles par la croix » (Col. 2, 15). Dès lors, pour le chrétien, l’obéissance ne revient plus aux autorités humaines, mais au Christ qui l’a délivré de leur pouvoir. Jésus étant son « seul maître et seigneur » (Jd. 4), le chrétien peut ainsi s’écrier : Dieu sans maître car Dieu seul Maître !

Dorothy Day et la pauvreté

Dorothy Day et la pauvreté

Conférence au Dorothy (11 octobre 2018)
Cycle découverte de Dorothy Day

Jeudi 11 octobre nous avons parlé de Dorothy Day et de ce qu’elle a vécu et pensé sur la pauvreté. Dorothy Day (1897-1980) journaliste de vocation, a été une militante  pour la justice toute sa vie, d’abord fortement influencée par la pensée marxiste, puis, après sa conversion, mue par l’Evangile, qu’elle s’est donné pour mission de mettre en pratique. Fortement marquée par les idéaux pacifistes et anarchistes dans lesquels elle a baigné pendant sa jeunesse à New York, elle a fondé le Catholic worker, un journal dédié à la diffusion de la pensée sociale de l’Eglise, qui s’est transformé très vite en un réseau de maisons d’hospitalité pour les sans-abris, aux Etats-Unis, et qui existent aujourd’hui dans 27 pays à travers le monde.

Grande lectrice et admiratrice de Saint François d’Assise, Dorothy voyait la pauvreté volontaire comme un moyen de refonder une société fondée sur l’Evangile : seule une adhésion pleine et entière à la pauvreté au sens franciscain, c’est à dire la sobriété qui rend heureux, joyeuse et contemplative, peut permettre de retrouver le sens de la communauté et de proposer des formes de vie sociale susceptibles de rendre bons les hommes.

Mais peut-on vouloir que les autres soient pauvres aussi ? Non, au contraire, il faut lutter contre la pauvreté subie. Durant toute sa vie D.D a cherché à établir ce qu’elle appelle une “Philosophie du travail”. La misère matérielle commence souvent par l’aliénation au travail, et conduit à la misère spirituelle. Ce n’est évidemment pas la misère que Dorothy défend comme mode de vie : vivre pauvre au sens franciscain, ce n’est pas mourir de faim, ni être dans le besoin permanent. C’est une pauvreté où le nécessaire est comblé : un travail, une famille, une terre à cultiver, de quoi se nourrir. C’est un anti-capitalisme radical, ou plutôt un anti-consumérisme, c’est l’appel radical de l’évangile et de St Paul que Dorothy prend à la lettre et, fait rare parmi tous les théoriciens anarchistes, qu’elle a mis en pratique.

Dieu sans maître : une présentation de l’anarchisme chrétien

À quoi bon la théologie politique ?

Conférence du professeur Bernard Bourdin au Dorothy (4 octobre 2018)
Cycle Théologie Politique

Un cycle de conférences sur le thème de la théologie politique. Qu’est-ce à dire ? En tant que chrétiens, nous nous posons la question de l’articulation entre notre foi et nos choix politiques, entre la religion chrétienne et les pouvoirs publics. Être chrétien, c’est se sentir responsable de son prochain et donc investi dans la vie politique. Mais c’est aussi reconnaître comme seul vrai pouvoir celui de Dieu : aussi le christianisme a une vertu subversive face aux pouvoirs politique, que nous pouvons avoir tendance à oublier, et que certaines théories politiques ont pu totalement occulter. Nous ne sommes plus à l’ère de la théocratie ; au contraire nos démocraties libérales se présentent comme neutres, avec comme seule “valeur” consensuelle les droits de l’homme. Pourtant, n’y aurait-il pas des restes de sacralité dans nos institutions “neutres”? Est-ce que le capitalisme que nos Etats semblent encourager ne cherche pas à prendre possession de nos corps et de nos esprits, comme une autre forme de divinité ? Pour éviter cette aliénation inconsciente, faut-il faire ressortir Dieu de la sphère privée ? Et si oui, comment, par quels moyens, dans quel but ?

“Le christianisme est une éthique, pas une politique”

La première conférence nous a été proposée par Bernard Bourdin, professeur à l’Université catholique de Paris, sous le titre “A quoi bon une théologie politique ?” Le professeur Bourdin a commencé par mettre en valeur la déchirure chez le chrétien d’aujourd’hui entre sa dimension de croyant, qui place Dieu au centre, et sa dimension de citoyen, dans des États qui se présentent comme métaphysiquement neutres. Pour faire face à ce conflit, il nous a proposé sa solution d’un “civisme chrétien”, consistant à s’engager pour le bien commun en défendant la démocratie libérale qui est la nôtre. Car pour lui, cette forme politique qu’est la démocratie libérale, est indépassable : elle est née dans les sociétés de culture chrétienne, à la suite du Christ qui a refusé la royauté et le pouvoir politique. De même que Dieu laisse sa liberté à l’homme, un régime politique chrétien est un régime qui laisse sa place à la liberté de conscience personnelle. Pour autant, cela ne revient pas au relativisme et à dire que toute référence à une vérité transcendantale est inutile et à bannir dans le cadre politique : au contraire, comme le dit Tocqueville, la religion apporte de la stabilité à la démocratie. Alors le rôle du chrétien est de féconder le débat public en y apportant l’éthique évangélique. Car le christianisme est une éthique, pas une politique. Le cadre des Etats-nations est idéal pour un chrétien puisqu’il propose de dérouler un discours universel dans un espace particulier (la nation), avec sa culture propre, son histoire, ses traditions. S’en est suivi un débat virulent sur “la nation”, vue comme une nécessité par le professeur Bourdin, mais critiquée comme un archaïsme non nécessaire (voir dangereux) par une partie du public. Un débat qui devrait se prolonger pendant les prochaines séances…

Nos conseils de lecture pour approfondir :
Saint Augustin, Cité de Dieu
Emilie Tardivel, Tout pouvoir vient de Dieu – un paradoxe chrétien


Cycle “Agriculture industrielle”

Cycle “Agriculture industrielle”

L’agriculture face aux normes – jeudi 13 septembre 2018

Avant-guerre, l’agriculture était le secteur d’activité le moins encadré normativement. Désormais, il est le plus contrôlé et le plus réglementé. La traçabilité a remplacé la proximité. Mise aux normes des effluents de fromagerie, mise aux normes des bâtiments d’élevage, mise aux normes des produits fermiers ; si la standardisation a apporté le progrès pour la santé, elle a, dans le même temps, profondément changé l’exercice du métier pour les paysans devenus exploitants agricoles. Michel Cucherousset, éleveur sur la zone AOC Comté du Jura, témoigne de cette transformation qu’il a vue à l’œuvre dans les quarante dernières années. Thierry Bergier (du cabinet Afnor, association française de normalisation) et Stéphanie Barral (chercheuse à l’INRA) relaient eux aussi ces grandes mutations du monde agricole, vues depuis leurs postes d’observation et de travail. La discussion a permis de fournir des explications et points de repère historiques mais aussi de laisser de l’espace pour réfléchir à un avenir débarrassé des impasses du modèle productiviste : dépasser le capitalisme, est-ce que
cela veut dire se passer des normes ?

Agriculture et numérique – jeudi 15 novembre 2018

Lucile Leclair, membre du Dorothy et journaliste indépendante, auteure du livre Les Néopaysans, a réuni trois intervenants sur le sujet : Michel Dubois, philosophe et ingénieur ; Etienne Achille, du ministère de l’Agriculture ; Hervé Pillaud, agriculteur et auteur d’Agronumericus.

1/ Révolution
Le numérique a transformé et transforme la vie des agriculteurs, avec des outils très utiles (« j’ai mon exploitation dans la poche », a expliqué Hervé Pillaud). Mais la technique est bonne si l’agriculteur est bon lui aussi : par exemple, un robot de traite peut faire des miracles… à condition que l’agriculteur connaisse bien ses bêtes, qu’il ait de l’empathie, qu’il prenne le temps de bien observer leurs modes de vie. Si on compte sur la technique pour remplacer la connaissance, on court à la catastrophe. Ce qui change la vie des agriculteurs avec les outils numériques, c’est le rapport au temps. On va aujourd’hui vers le tracteur autonome par exemple. Une nouvelle agriculture ne remplace jamais tout à fait l’ancienne (on retrouve des endroits où tout est fait à la main). Notre monde agricole est comme un empilage de techniques et de savoir-faire qui proviennent d’époques très différentes.

2/ Risques
Ce qui est arrivé à la banque il y a dix ans peut arriver au monde agricole : un petit nombre de personnes maîtrise les données et les algorithmes permettant de les traiter => financiarisation de l’agriculture. Google s’intéresse beaucoup aux données stockées par les agriculteurs (« farmer network », plateforme d’échange de semences). La richesse est dans ce
savoir, ce stock de données. Aussi y a-t-il également le risque de voir des données qui devraient appartenir à tous (biens communs) être récupérées par quelques entreprises.

3/ Perspectives
De nos jours, de plus en plus de monde veut savoir d’où vient ce qu’il mange, et de plus en plus de jeunes urbains ont envie de se reconvertir, en réfléchissant beaucoup aux pratiques (permaculture par exemple). Le rural va sans doute reprendre beaucoup d’importance dans les décennies à venir.

La mobilisation contre le projet de la zone commerciale et de loisirs Europa City – jeudi 15 novembre 2018
Le Dorothy accueillait Eric, opposant au projet EuropaCity, Yannick Sencébé, sociologue et Clément et Sam, militants écologistes et parties prenantes du quartier libre des Lentillères, à Dijon (7ha de terres cultivées et d’habitations dans la ville, lieu d’expérimentation de pratiques sociales et politiques nouvelles). Le contexte général : le fait principal, c’est l’étalement urbain. L’équivalent d’un département est bétonné en France tous les 7 ans. Il y a un grignotage des terres agricoles, ce qui limite la possibilité d’une réelle souveraineté alimentaire locale. Une logique de domination villes/campagnes semble s’être installée. Aujourd’hui, 10% du territoire est
urbanisé (en comptant les habitations évidemment mais aussi les routes, les commerces, etc). La forêt résiste mieux que les terres agricoles à la logique de l’urbanisation, laquelle repose sur la croissance d’espace urbain/habitant (fondée sur l’idéal de l’habitat individuel, qui est la
raison principale de l’artificialisation, juste devant la création des zones commerciales). La forêt va être le prochain type de territoire auquel la logique d’urbanisation va s’attaquer. Infos générales sur les enjeux autour d’EuropaCity : 700ha de très bonne terre pour l’agriculture que le groupe AUCHAN (soutenu par les pouvoirs publics dans le cadre du projet du Grand Paris) veut transformer en un immense parc de loisirs et centre commercial. 3 milliards d’investissements. C’est le plus gros projet privé depuis WaltDisney, et s’appuie sur une logique de hors sol mâtiné de « green ». Le collectif contre le projet existe depuis 2010. Or, il existe un projet alternatif porté par ce Collectif : faire de ces 700ha un lieu de
maraichage qui produise local et bio pour les cantines et les hôpitaux du coin. Ce serait comme un laboratoire maraicher, s’inspirant des ceintures maraichères avant le XXe, autour des grandes villes. Le Collectif a besoin d’aide pour avoir une chance de gagner la lutte.

Pour aller plus loin, suivre le Collectif pour le Triangle de Gonesse sur les ré seaux ou sur leur site, nonaeuraopacity.com