Saber : « Je me suis dit que tant mieux pour la planète, elle va enfin respirer. »

dimanche 26 avril 2020 | Témoignage

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Le confinement, je dirai ça va. Je suis dans une maison à Carrières-sur-Seine. On est deux, je suis chez une amie. Mon amie Claire elle a son coin en bas et moi je suis dans le salon. On a aussi un petit jardin. D’ailleurs ce matin on a coupé les branches d’un arbre qui étaient gênantes. Je fais du jardinage, couper les mauvaises arbres, nettoyage, on aimerait faire un potager, planter quelques légumes, mais comme c’est fermé pour aller chercher des grains on attend.

Quand j’ai appris le confinement j’ai eu peur que ça dure longtemps, et que ça va mal se passer avec Claire qui m’héberge parce qu’on sera obligé de se voir et être là tout le temps. Mais au final ça se passe bien, elle est dans son coin, elle fait de la musique. On se voit que pour partager les repas, donc ça va.
Avant je mangeais à la cantine des Pyrénées le midi, et le soir au restaurant de solidarité de Paris, maintenant c’est nous qui faisons les courses. Au début c’était Claire qui faisait les courses toute seule, ça m’inquiétait de pas pouvoir participer et j’étais gêné.
J’ai pu avoir des appels auprès du Secours Catholique et ils ont décidé de nous livrer un chèque alimentaire de 50 euros chaque 15 jours, la bénévole du Secours Catholique m’a mis en lien avec l’épicerie sociale de Houilles, j’ai eu le droit à 80 % de réduction. Comme ça je peux faire les courses aussi.

De rester à la maison toute la journée, on s’ennuie un petit peu. Je commence juste à prendre des habitudes. La journée je regarde la télé, les infos, internet aussi, je suis connecté sur Facebook, les réseaux sociaux et tout, je regarde des films, je fais la cuisine, un peu de musique. J’essaie d’apprendre à jouer de la guitare, d’apprendre la musique kabyle. J’apprends en regardant des vidéos sur Youtube. C’est difficile. J’espère m’améliorer encore un peu. Il faut que je m’accroche et de jouer plus souvent. C’est tellement difficile que je m’ennuie vite.
J’apprends la chanson d’un chanteur kabyle, Khaloui Lounes. « Je sais que ton joli visage va me manquer… » Bon laisse tomber la traduction, c’est difficile. C’est une chanson d’amour, on va se séparer, et caetera. Mon village s’est bien organisé pour faire face à la maladie. C’est mieux organisé qu’en France car ils sont conscients que l’État ne va pas être là…

J’essaie d’apprendre à jouer de la guitare, d’apprendre la musique kabyle. Il faut que je m’accroche et de jouer plus souvent. C’est tellement difficile que je m’ennuie vite.

J’ai pas un programme spécial, le téléphone m’envahit trop, j’ai plein de groupes Whatsapp, des groupes d’amis, groupe du foot, groupes du village ou bled, je regarde des publications, je passe des coups de fil, je reçois des coups de fil…
D’ailleurs je m’inquiète pour ma famille au bled. Mais sur Facebook j’ai vu que mon village s’est bien organisé pour faire face à la maladie. Ils ont mis des barrages à l’entrée du bled pour que personne ne rentre personne ne sort. Le comité du village a fait une organisation pour que seulement quelques personnes fassent les courses pour le village. Le comité de village c’est chaque famille qui donne deux représentants, dans mon village il y a huit familles et une famille compte 15-20 foyers. Ça fait seize représentants plus le président de tout le village : ensemble on organise, on fait des réunions pour les travaux du village… Ils sont bien organisés pour l’épidémie. Ils ont fait un tour du village pour dire aux personnes de ne pas sortir et ils ont donné un numéro de téléphone à tout le monde, en cas de besoin. Dans mon village tout le monde travaille au noir, donc ils ont décidé de passer voir les familles pour faire une quête, chacun donne ce qu’il peut. Comme ça avec cet argent ils vont faire les courses, fruits, légumes, semoule, pâtes, et les distribuer aux villageois. Pour l’instant ils ont distribué une quantité de 15 à 20 jours. Les gens ne travaillent pas donc ils n’ont pas de ressources.
C’est mieux organisé qu’en France car ils sont conscients que l’État ne va pas être là… On a les manques de moyens, si il y a de la contamination ça va être grave. Donc ils font très attention pour que ça n’arrive pas chez eux. Après avoir vu cette organisation ça m’a rassuré par rapport à ma famille. J’ai un frère pompier qui travaille et ma sœur est pharmacienne, j’ai peur qu’ils ramènent le virus à la maison car j’ai des grands-parents âgés et ma mère a des maladies chroniques et diabétiques elle a de la tension donc ça fait peur. Mais de toute façon mes frères et sœurs ils sont bien placés pour savoir les dangers. Mon frère quand il arrive il enlève ses vêtements, il se lave, il évite de voir mes parents et mes grands-parents. Pour l’instant il n’ y a pas de cas dans mon village (Tazrouts).

En France je crois que c’est mal géré je parle du coté du gouvernement. Par rapport au manque de moyens de tester les gens, manque de masques, de blouses, de lits respiratoires. Dans quelques hôpitaux ils ont fait des choix de soigner celui-là et de laisser tomber celui-là, ça fait mal au coeur de voir tant de morts. Hier il y a eu 588 et malheureusement ça va continuer. Je dirais que c’est mal géré, le gouvernement français a négligé les hôpitaux avant cette épidémie. Apres ils viennent nous faire leurs discours merci et patati et patata, ne pas sortir, aller travailler, contradictions… Ils paient leurs erreurs. Ils font comme ils peuvent.

Je dirais que c’est mal géré, le gouvernement français a négligé les hôpitaux avant cette épidémie. Apres ils viennent nous faire leurs discours merci et patati et patata, ne pas sortir, aller travailler, contradictions…

Ce qui m’énerve c’est les gens qui prennent des stocks dans les supermarchés. Et laisser les rayons vides. Et j’ai vu une vidéo où la police a tabassé une femme car elle voulait pas payer son amende. Ou alors quand M. Lallement qui a déclaré que les gens qui se retrouvent en réanimation sont ceux qui ne respectent pas le confinement. Le gouvernement lui a demandé de s’excuser, et il s’est exécuté… Mais j’ai pensé que c’est la même personne qui donne des ordres aux policiers pour tabasser les manifestants, c’est la même pourriture. Quelques policiers font que leur travail et font face aux gens qui ne respectent pas vraiment leur travail, ça je dis pas…

Ce qui est inquiétant c’est que l’économie va s’effondrer. Les gens qui sont dans la rue ça m’inquiète aussi, d’ailleurs ils ont fait hommage récemment aux morts de la rue, le 31 mars. Et tous les morts qu’on voit et que ça continue. Et aussi le fait que si jamais cette maladie arrive en masse en Algérie ça va faire un carnage. Parce qu’ils ont pas les moyens pour faire face. Et ça m’inquiète pour mon avenir car rien ne va pour le moment, c’est stagné.
Le plus dur c’est de rester à la maison et de voir les infos et de voir les morts partout dans le monde. Il y en a qui disent de pas regarder les infos mais c’est important, il faut suivre l’actualité. À 20h je regarde les infos. Ça fait mal au coeur de voir les gens mourir comme ça en quantité.

Je ne me suis pas vraiment ennuyé, je m’adapte aux situations vite fait.

Au fait je me suis dit que tant mieux pour la planète, elle va enfin respirer, maintenant toutes les usines ne fonctionnent plus, les voitures ne circulent plus.
Mais pour moi rien de positif, je ne vois pas d’avantage à rester chez moi enfermé comme ça. Après de quoi j’ai profité ? À part de me mettre à la guitare je ne vois pas d’autre intérêt.
Ce qui me manque le plus c’est de voir des amis. Le travail aussi, sauf que je travaillais pas énormément. Je travaillais dans la restauration, les déménagements, n’importe où… Juste avant le confinement j’avais une piste pour travailler dans le déménagement. Je vais la recontacter quand on sera déconfiné.
Franchement je ne pense pas à ce que je vais faire quand on sera déconfiné, je vis le jour le jour, le jour où ce sera fini je vais sortir comme d’habitude, direction le 20e arrondissement, voir mes amis, tous les gens, et reprendre la vie normale.

Je ne me suis pas vraiment ennuyé, je m’adapte aux situations vite fait. J’ai eue une petite inquiétude au début. Je savais que ça allait prendre du temps pour se déconfiner mais je me suis vite adapté à la nouvelle vie. J’ai l’espoir qu’on va être déconfiné pour bientôt. Aux infos ils commencent à en parler, le préparer. Et j’espère qu’ils vont trouver un traitement et que ça va y aller.


Portrait réalisé par Clara Lauriot
Témoignage recueilli par Anne Waeles