Wakary : « J’ai la petite grignotte. Tchak tchak. Ça fait du bien. »

lundi 13 avril 2020 | Témoignage

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Le confinement ? Je dors je mange. 

Depuis le premier jour, je suis chez moi, j’ai ma petite chambre. On a aussi une salle dans le foyer et une terrasse. Je sors parfois pour prendre le soleil sur la terrasse. On peut discuter avec les voisins, quand ils viennent. On discute pas trop : « Bonjour, bonjour… Y’a ça, y’a ça… Je vais aller là bas… Y’a ça là-bas… » Mais il faut laisser un mètre de distance et se laver les mains. Quand tu sors aussi il faut nettoyer les mains. Ce qui m’inquiète c’est les gens qui rentrent dans l’immeuble par la grande porte, les gens peuvent ramener le virus, chaque fois j’y pense. Si je sors, quand je rentre chaque fois je lave les mains sinon ça va pas.
Le confinement c’est un isolement, mais il faut faire on n’a pas le choix. Le truc il peut passer après on va ressortir. 

Par rapport à mon travail je pense que les patrons doivent faire le chômage partiel, normalement ils doivent le faire. Depuis qu’on est arrêtés j’ai pas le contact avec eux. J’attends qu’ils me paient le 10 avril, si ils le font pas je prendrais le contact avec eux. Je suis inquiet un peu.

Je fais tout, les pompes, je cours, je fais le karaté aussi. Ce qui est bien c’est que je peux aller au canal de l’Ourcq. Je vois des gens qui ont jamais fait du sport dans leur vie, et ça c’est bien.

Dans ma journée je fais beaucoup de choses. Le matin je sors, je fais beaucoup de sport. Je fais tout, les pompes, je cours, je fais le karaté aussi. Ce qui est bien c’est que je peux aller au canal de l’Ourcq. Je vois des gens qui ont jamais fait du sport dans leur vie, et ça c’est bien. Je vois comment ils courent, on voit qu’ils n’ont jamais fait de sport. Je les regarde et parfois je rigole. Une fois je faisais le karaté et il y en a un qui essayait de faire aussi, je lui ai dit : « tu vas te casser la gueule ».

Après le sport je rentre, je regarde la télé, je lis un peu, j’essaie d’écrire un peu pour me rappeler. J’ai jamais été à l’école et avec le travail j’avais plus le temps d’aller en cours. Donc je profite de me souvenir des verbes pour écrire, pour que je puisse apprendre. Mais parfois j’ai pas le moral d’apprendre tout seul. Je prends mes cahiers, le livre, je sors dans la grande salle et j’ai pas le courage de les ouvrir. C’est un peu pareil tous les jours. Je prends le bouquin, parfois je lis trois phrases et après j’ai plus le moral je laisser tomber. Je vais sur mon téléphone passer le temps et regarder les vidéos rigolotes, ou je regarde des films, ou BFM TV.
Quand je lis c’est intéressant, surtout si je peux lire à quelqu’un, au téléphone. Là j’ai plus le courage de lire. C’est une histoire de taxi. C’est bien, ça me plait. Si j’avais les moyens, je ferais les cours de français tous les jours ce serait plus intéressant.

Je prends le bouquin, parfois je lis trois phrases et après j’ai plus le moral je laisser tomber.

Là je sors sur la terrasse pour applaudir. Tous les soirs je le fais. J’aime bien. Je sais que c’est important le travail qu’ils font, c’est vraiment bien. Nous, dans le 19e, on commence à applaudir cinq minutes avant. Les voisins se saluent sur les balcons, peut-être qu’ils ne se parlaient pas avant, ça peut créer du lien aussi. 

Ce qui est le plus difficile pour moi c’est que je n’ai pas l’habitude de rester. C’est dur de pas aller travailler. Et je peux pas dormir la journée. 
D’habitude je travaille dans le bâtiment, je suis coffreur-boiseur, dans le gros œuvre. J’aime bien, c’est un peu physique, mais je sais que quand on est jeune il faut travailler même si c’est dur. Je faisais beaucoup du bénévolat aussi. Avec la croix-rouge je fais les maraudes. Là on m’a appelé la semaine passée, ils vont commencer à faire dans la journée, je vais voir si je peux aller. C’est pour aller donner à manger pour les gens qui sont dans le besoin et discuter avec eux, si ils vont bien ou quoi. De faire ça le temps du confinement ça me ferait un peu de bien.

D’habitude je rentre tard le soir du travail, et je me lève tôt. Je travaille loin, je rentre à 18h-19h30 et je me lève à 5h. Il faut une heure et demi pour aller au travail, parfois même ça dépasse ça. Il faut prendre le train, le bus, et aller encore marcher. Le temps est trop serré j’ai pas le temps de sortir, sauf le week-end, je vais voir des amis ou mon frère. 
Mais là je dors pas plus. Si je dors à deux heures du matin je me lève à 6h, je peux pas dormir plus. Je suis habitué comme ça. Quand je me réveille je me sens mal, je reste sur mon lit. Je ne dors plus. Je m’ennuie, forcément. Ça fait mal. C’est pas facile. Tu peux rentrer chez toi tu sais pas quoi faire, et voilà. Après c’est compliqué.

D’habitude je travaille dans le bâtiment, je suis coffreur-boiseur, dans le gros œuvre. J’aime bien, c’est un peu physique, mais je sais que quand on est jeune il faut travailler même si c’est dur.

Ce que je pense c’est qu’il faut respecter le confinement, on voit le nombre de morts qui monte tous les jours, c’est catastrophe, c’est incroyable. C’est pas un truc rigolo, il faut apprendre à respecter les consignes. Au Mali il y a des malades aussi. Là-bas ça m’inquiète, car c’est pas la même chose qu’ici. Ici il y a des moyens pour soigner et des hôpitaux. Dans mon village il n’y a pas d’hôpital. Si ça arrive là-bas ça va être compliqué. Et les gens peuvent pas respecter les consignes. Dans les taxis et les supermarchés les gens se collent et sont obligés de sortir. Et là-bas tu peux pas rester et l’État va te payer, les gens ont besoin de sortir nourrir leur famille.

On a pas de solution pour l’instant et ça ça m’inquiète, et j’espère que ça va finir vite, mais dans la vie il faut être patient. Moi je veux que demain ils disent c’est terminé, tout le monde est dehors, tout le monde reprend le travail. La première chose que je veux faire c’est tac au travail, après le travail tac voir des amis. Et là je serais très heureux quoi.

Quand je vais au travail, à midi je bouffe beaucoup, et le soir quand je rentre je bouffe beaucoup. Là je peux faire toute la journée sans manger, jusqu’à 17 h. J’ai la petite grignotte. Tchak tchak. Ça fait du bien.
Le temps, ça vient, ça passe. Je rentre, je sors sur la terrasse, je prends la pomme, tac, je rentre, je sors, je prends le biscuit, je prends la banane, je mange. Rentrer, sortir, et tu n’as plus faim. Je sors pas les mains vides. Un peu la télé, un peu la grignotte, je passe le temps comme ça.
Et parfois le téléphone, forcément, avec ça c’est rassurant quand même !


Portrait réalisé par Camille Chevrillon 
Témoignage recueilli par Anne Waeles