Seibane : « Je n’ai jamais été puni comme ça. »

mercredi 8 avril 2020 | Témoignage

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Je n’ai jamais été puni de ma vie comme ça. C’est très dur. On n’a pas le choix. Plus de deux jours chez moi sans sortir, je n’ai jamais fait ça.

On vit dans une petite chambre, avec mon père et mon frère, c’est comme une cellule. Trois personnes pour 6 m2. Il y a un seul lit, pour mon père. Au coucher on met les matelas avec mon frère et on dort par terre. Il y a aussi une petite cuisine et une petite salle de bain. Malgré le confinement les gens viennent toujours chez nous.
Depuis le confinement je me lève pas le matin, je reste dans mon lit, même si je suis réveillé. Je me réveille vers midi souvent. Avant je me levais vers 6, 7h. Ensuite je cuisine, jusqu’à 15, 16h. On mange avec mon père (mais lui il mange à midi en général), mon frère et les gens qui viennent. La vaisselle, puis je monte au troisième voir mon cousin, on discute jusque 21h.

Depuis plusieurs jours je ne suis pas sorti du tout. Respecter le règlement, c’est différent de la peur. S’il y a un contrôle de police alors que j’ai pas les papiers… Je ne suis pas régularisé. C’est mon père qui fait les courses, alors que d’habitude c’est moi. Je peux prendre un peu l’air quelques minutes dans la cour, après je retourne dans ma cellule. On ne peut pas rester très longtemps sinon on dérange les immeubles autour.

Quand Macron a annoncé le confinement ça m’a pas étonné. Depuis que le corona est en France j’ai arrêté d’aller dans les lieux publics, en cours, à la mosquée… J’étais confiné avant que l’État s’engage. Les autres au foyer me calculaient pas, ils disaient que j’avais peur. Quand je sortais je respectais les consignes, ils disaient que j’avais peur. Ils ont pas compris. C’était de faire ce qu’on nous a demandé aussi, se protéger soi et autrui !

On vit dans une petite chambre, avec mon père et mon frère, c’est comme une cellule. Trois personnes pour 6 m2.

Après le confinement j’espère qu’on va faire une grande fête. Ça fait longtemps qu’on n’a pas fêté, depuis l’anniversaire d’Anne. Ce qui me manque le plus c’est la liberté. Avant je volais ! J’allais où je voulais. Je marchais beaucoup. Je ne prends presque jamais les transports parce que j’aime marcher… Je peux faire jusqu’à deux heures de marche pour aller quelque part, si je ne suis pas pressé.
Ça me manque d’aller voir mes amis, discuter, faire la fête, danser. Tu ne peux pas danser si tu dois rester à 2 mètres d’écart ! Si on n’est pas confiné on ne peut pas savoir ce qu’est la liberté. Une autre chose que je ne peux plus faire, c’est appeler ma mère car j’ai pas le crédit. Le Dorothy me manque aussi, les amis, là-bas tu peux voir toujours des nouvelles personnes, le lapin aussi me manque.

Je m’ennuie pas, pas forcément. Si y’avait pas la maladie, c’est une expérience positive car je n’ai jamais vu de ma vie Paris si vide comme ça. Déjà avant je ne travaillais pas, c’était juste voir les amis, cuisiner, faire les courses, aller voir la famille… À part la cuisine je n’ai plus besoin de faire tout ça. Je suis plus indépendant ! Je peux dormir plus comme ça… On rigole.
L’ambiance au foyer n’a pas changé. Mais la grande inquiétude c’est de ne pas travailler. Une personne sur dix continue à travailler : ceux qui font les poubelles et les ménages. Les autres ils ne travaillent plus, ils travaillaient dans le bâtiment, dans les travaux publics. Il y en a qui pensent que le corona c’est une invention. Et on débat. On parle parfois de la maladie, de l’actualité, on discute des choses qu’on ne peut plus faire, on raconte ce qui se passe dehors quand quelqu’un sort, et ceux qui vont au travail racontent aussi ce qu’ils voient.

Depuis que le corona est en France j’ai arrêté d’aller dans les lieux publics, en cours, à la mosquée… J’étais confiné avant que l’État s’engage.

C’est bien quand on est tout seul, tu réfléchis beaucoup mais avec du monde tu peux pas réfléchir comme quelqu’un qui est seul. Chez nous il n’y a jamais de silence, c’est le tabou !!! Il y a tout le temps des gens qui parlent : les gens qui viennent parler avec mon père, moi je parle avec mon frère, ou c’est le téléphone.

En ce moment c’est le marché des écrivains et des artistes, tout le monde écrit ses pensées, ses inspirations. Les écrivains et les artistes, ils ont toujours l’inspiration, tout les inspire, par exemple cette situation, si tu es écrivain, philosophe, ou encore artiste ça t’inspire, car tu vois comment les gens se comportent, comment ils font, comment tu dépends de beaucoup de choses. Tout ça est inspirant. Ils ont de la chance. Même si ils sont allongés, ils sont inspirés ! Je peux le faire aussi un peu mais il faut le décider. Je réfléchis un peu mais je peux pas aller plus loin… Je ne suis pas philosophe, encore moins artiste.

En ce moment c’est le marché des écrivains et des artistes, tout le monde écrit ses pensées, ses inspirations.

Les autres au foyer ils se moquent de moi, ils disent que je parle comme un philosophe. Je vois dans un contexte global, je vois plus loin. Je leur dis que je suis pas un philosophe mais ils disent que je parle comme un philosophe.
Ce que disent les philosophes, moi de mon côté ce que je dis, et ce qu’on dit avec les gens au foyer, c’est très différent. Chacun dit ce qu’il a dans sa petite tête, on peut faire trente minutes sur un seul débat. On regarde la tv : on entend des nouvelles, on est tout ouïe. Tout le monde parle du «connard-virus ». Les humoristes maliens aussi, ils font des blagues. Chacun dit ce qu’il pense. On est comme noyé dans l’eau, parce que chacun dit ses pensées, tu ne sais pas où tu te trouves…

Je suis inquiet pour moi, les proches, et les autres qui sont malades. Je prie pour eux même si je les connais pas. Il faut être solidaire. Ce que je préfère c’est quand on applaudit les soignants, à 20h ! C’est une belle solidarité. Ça c’est vraiment beau ! Elle est belle la vie. Elle est difficile, mais elle est belle. Et toi, quand même, tu t’en sors bien avec le confinement !


Portrait réalisé par Jeanne de Guillebon
Témoignage recueilli par Anne Waeles